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L'Orco

Жорж Санд

George Sand

L'Orco

Nous Г©tions, comme de coutume, rГ©unis sous la treille. La soirГ©e Г©tait orageuse, l'air pesant et le ciel chargГ© de nuages noirs que sillonnaient de frГ©quents Г©clairs. Nous gardions un silence mГ©lancolique. On eГ»t dit que la tristesse de l'atmosphГЁre avait gagnГ© nos coeurs, et nous nous sentions involontairement disposГ©s aux larmes. Beppa surtout paraissait livrГ©e Г  de douloureuses pensГ©es. En vain l'abbГ©, qui s'effrayait des dispositions de l'assemblГ©e, avait-il essayГ©, Г  plusieurs reprises et de toutes les maniГЁres, de ranimer la gaietГ©, ordinairement si vive de notre amie. Ni questions, ni taquineries, ni priГЁres n'avaient pu la tirer de sa rГЄverie; es yeux fixГ©s au ciel, promenant au hasard ses doigts sur les cordes frГ©missantes de sa guitare, elle semblait avoir perdu le souvenir de ce qui se passait autour d'elle, et ne plus s'inquiГ©ter d'autre chose que des sons plaintifs qu'elle faisait rendre Г  son instrument et de la course capricieuse des nuages. Le bon Panorio, rebutГ© par le mauvais succГЁs de ses tentatives, prit le parti de s'adresser Г  moi.

В«Allons! me dit-il, cher Zorzi, essaie Г  ton tour, sur la belle capricieuse, le pouvoir de ton amitiГ©. Il existe entre vous deux une sorte de sympathie magnГ©tique, plus forte que tous mes raisonnements, et le son de ta voix rГ©ussit Г  la tirer de ses distractions les plus profondes.

– Cette sympathie magnétique dont tu me parles, répondis-je, cher abbé, vient de l'identité de nos sentiments. Nous avons souffert de la même manière et pensé les mêmes choses, et nous nous connaissons assez, elle et moi, pour savoir quel ordre d'idées nous rappellent les circonstances extérieures. Je vous parie que je devine, non pas l'objet, mais du moins la nature de sa rêverie.»

Et me tournant vers Beppa:

В«Carissima, lui dis-je doucement, Г  laquelle de nos soeurs penses-tu?

– A la plus belle, me répondit-elle sans se détourner, à la plus fière, à la plus malheureuse.

– Quand est-elle morte? repris-je, m'intéressant déjà à celle qui vivait dans le souvenir de ma noble amie, et désirant m'associer par mes regrets à une destinée qui ne pouvait pas m'être étrangère.

– Elle est morte à la fin de l'hiver dernier, la nuit du bal masqué qui s'est donné au palais Servilio. Elle avait résisté à bien des chagrins, elle était sortie victorieuse de bien des dangers, elle avait traversé, sans succomber, de terribles agonies, et elle est morte tout d'un coup sans laisser de trace, comme si elle eût été emportée par la foudre. Tout le monde ici l'a connue plus ou moins, mais personne autant que moi, parce que personne ne l'a autant aimée et qu'elle se faisait connaître selon qu'on l'aimait. Les autres ne croient pas à sa mort, quoiqu'elle n'ait pas reparu depuis la nuit dont je te parle. Ils disent qu'il lui est arrivé bien souvent de disparaître ainsi pendant longtemps, et de revenir ensuite. Mais moi je sais qu'elle ne reviendra plus et que son rôle est fini sur la terre. Je voudrais en douter que je ne le pourrais pas; elle a pris soin de me faire savoir la fatale vérité par celui-là même qui a été la cause de sa mort. Et quel malheur c'est là, mon Dieu! le plus grand malheur de ces époques malheureuses! C'était une vie si belle que la sienne! si belle et si pleine de contrastes, si mystérieuse, si éclatante, si triste, si magnifique, si enthousiaste, si austère, si voluptueuse, si complète en sa ressemblance avec toutes les choses humaines! Non, aucune vie ni aucune mort n'ont été semblables à celles-là. Elle avait trouvé le moyen, dans ce siècle prosaïque, de supprimer de son existence toutes les mesquines réalités, et de n'y laisser que la poésie. Fidèle aux vieilles coutumes de l'aristocratie nationale, elle ne se montrait qu'après la chute du jour, masquée, mais sans jamais se faire suivre de personne. Il n'est pas un habitant de la ville qui ne l'ait rencontrée errant sur les places ou dans les rues, pas un qui n'ait aperç