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Contes d'une grand-mГЁre

Жорж Санд

George Sand

Contes d'une grand-mГЁre

LE CHГЉNE PARLANT

A MADEMOISELLE BLANCHE AMIC

Il y avait autrefois en la forГЄt de Cernas un gros vieux chГЄne qui pouvait bien avoir cinq cents ans. La foudre l'avait frappГ© plusieurs fois, et il avait dГ» se faire une tГЄte nouvelle, un peu Г©crasГ©e, mais Г©paisse et verdoyante.

Longtemps ce chêne avait eu une mauvaise réputation. Les plus vieilles gens du village voisin disaient encore que, dans leur jeunesse, ce chêne parlait et menaçait ceux qui voulaient se reposer sous son ombrage. Ils racontaient que deux voyageurs, y cherchant un abri, avaient été foudroyés. L'un d'eux était mort sur le coup; l'autre s'était éloigné à temps et n'avait été qu'étourdi, parce qu'il avait été averti par une voix qui lui criait:

– Va-t'en vite!

L'histoire Г©tait si ancienne qu'on n'y croyait plus guГЁre, et, bien que cet arbre portГўt encore le nom de chГЄne parlant, les pГўtours s'en approchaient sans trop de crainte. Pourtant le moment vint oГ№ il fut plus que jamais rГ©putГ© sorcier aprГЁs l'aventure d'Emmi.

Emmi était un pauvre petit gardeur de cochons, orphelin et très-malheureux, non-seulement parce qu'il était mal logé, mal nourri et mal vêtu, mais encore parce qu'il détestait les bêtes que la misère le forçait à soigner. Il en avait peur, et ces animaux, qui sont plus fins qu'ils n'en ont l'air, sentaient bien qu'il n'était pas le maître avec eux. Il s'en allait dès le matin, les conduisant à la glandée, dans la forêt. Le soir, il les ramenait à la ferme, et c'était pitié de le voir, couvert de méchants haillons, la tête nue, ses cheveux hérissés par le vent, sa pauvre petite figure pâle, maigre, terreuse, l'air triste, effrayé, souffrant, chassant devant lui ce troupeau de bêtes criardes, au regard oblique, à la tête baissée, toujours menaçante. A le voir ainsi courir à leur suite sur les sombres bruyères, dans la vapeur rouge du premier crépuscule, on eût dit d'un follet des landes chassé par une rafale.

Il eГ»t pourtant Г©tГ© aimable et joli, ce pauvre petit porcher, s'il eГ»t Г©tГ© soignГ©, propre, heureux comme vous autres, mes chers enfants qui me lisez. Lui ne savait pas lire, il ne savait rien, et c'est tout au plus s'il savait parler assez pour demander le nГ©cessaire, et, comme il Г©tait craintif, il ne le demandait pas toujours, c'Г©tait tant pis pour lui si on l'oubliait.

Un soir, les pourceaux rentrГЁrent tout seuls Г  l'Г©table, et le porcher ne parut pas Г  l'heure du souper. On n'y fit attention que quand la soupe aux raves fut mangГ©e, et la fermiГЁre envoya un de ses gars pour appeler Emmi. Le gars revint dire qu'Emmi n'Г©tait ni Г  l'Г©table, ni dans le grenier, oГ№ il couchait sur la paille. On pensa qu'il Г©tait allГ© voir sa tante, qui demeurait aux environs, et on se coucha sans plus songer Г  lui.

Le lendemain matin, on alla chez la tante, et on s'étonna d'apprendre qu'Emmi n'avait point passé la nuit chez elle. Il n'avait pas reparu au village depuis la veille. On s'enquit de lui aux alentours, personne ne l'avait vu. On le chercha en vain dans la forêt. On pensa que les sangliers et les loups l'avaient mangé. Pourtant on ne retrouva ni sa sarclette – sorte de houlette à manche court dont se servent les porchers, – ni aucune loque de son pauvre vêtement; on en conclut qu'il avait quitté le pays pour vivre en vagabond, et le fermier dit que ce n'était pas un grand dommage, que l'enfant n'était bon à rien, n'aimant pas ses bêtes et n'ayant pas su s'en faire aimer.

Un nouveau porcher fut louГ© pour le reste de l'annГ©e, mais la disparition d'Emmi effrayait tous les gars du pays; la derniГЁre fois qu'on l'avait vu, il allait du cГґtГ© du chГЄne parlant, et c'Г©tait lГ  sans doute qu'il lui Г©tait arrivГ© malheur. Le nouveau porcher eut bien soin de n'y jamais conduire son troupeau et les autres enfants se gardГЁrent d'aller jouer de ce cГґtГ©-lГ .

Vous me demandez ce qu'Emmi Г©tait devenu. Patience, je vais vous le dire.

La derniГЁre fois