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L'Argent

Г‰mile Zola

Г‰mile Zola

L'Argent

I

Onze heures venaient de sonner Г  la Bourse, lorsque Saccard entra chez Champeaux, dans la salle blanc et or, dont les deux hautes fenГЄtres donnent sur la place. D'un coup d'Е“il, il parcourut les rangs de petites tables, oГ№ les convives affamГ©s se serraient coude Г  coude; et il parut surpris de ne pas voir le visage qu'il cherchait.

Comme, dans la bousculade du service, un garçon passait, chargé de plats:

В«Dites donc, M. Huret n'est pas venu?

– Non, monsieur, pas encore.»

Alors, Saccard se dГ©cida, s'assit Г  une table que quittait un client, dans l'embrasure d'une des fenГЄtres. Il se croyait en retard; et, tandis qu'on changeait la serviette, ses regards se portГЁrent au-dehors, Г©piant les passants du trottoir. MГЄme, lorsque le couvert fut rГ©tabli, il ne commanda pas tout de suite, il demeura un moment les yeux sur la place, toute gaie de cette claire journГ©e des premiers jours de mai. A cette heure oГ№ le monde dГ©jeunait, elle Г©tait presque vide: sous les marronniers, d'une verdure tendre et neuve, les bancs restaient inoccupГ©s; le long de la grille, Г  la station des voitures, la file des fiacres s'allongeait, d'un bout Г  l'autre; et l'omnibus de la Bastille s'arrГЄtait au bureau, Г  l'angle du jardin, sans laisser ni prendre de voyageurs. Le soleil tombait d'aplomb, le monument en Г©tait baignГ©, avec sa colonnade, ses deux statues, son vaste perron, en haut duquel il n'y avait encore que l'armГ©e des chaises, en bon ordre.

Mais Saccard, s'Г©tant tournГ©, reconnut Mazaud, l'agent de change, Г  la table voisine de la sienne: Il tendit la main.

В«Tiens! c'est vous. Bonjour!

– Bonjour!» répondit Mazaud, en donnant une poignée de main distraite.

Petit, brun, trГЁs vif, joli homme, il venait d'hГ©riter de la charge d'un de ses oncles, Г  trente-deux ans. Et il semblait tout au convive qu'il avait en face de lui, un gros monsieur Г  figure rouge et rasГ©e, le cГ©lГЁbre Amadieu, que la Bourse vГ©nГ©rait, depuis son fameux coup sur les Mines de Selsis. Lorsque les titres Г©taient tombГ©s Г  quinze francs, et que l'on considГ©rait tout acheteur comme un fou, il avait mis dans l'affaire sa fortune, deux cent mille francs, au hasard, sans calcul ni flair, par un entГЄtement de brute chanceuse. Aujourd'hui que la dГ©couverte de filons rГ©els et considГ©rables avait fait dГ©passer aux titres le cours de mille francs, il gagnait une quinzaine de millions; et son opГ©ration imbГ©cile qui aurait dГ» le faire enfermer autrefois, le haussait maintenant au rang des vastes cerveaux financiers. Il Г©tait saluГ©, consultГ© surtout. D'ailleurs, il ne donnait plus d'ordres, comme satisfait, trГґnant dГ©sormais dans son coup de gГ©nie unique et lГ©gendaire. Mazaud devait rГЄver sa clientГЁle.

Saccard, n'ayant pu obtenir d'Amadieu mГЄme un sourire, salua la table d'en face, oГ№ se trouvaient rГ©unis trois spГ©culateurs de sa connaissance, Pillerault, Moser et Salmon.

В«Bonjour! Г§a va bien?

– Oui, pas mal… Bonjour!»

Chez ceux-ci encore, il sentit la froideur, l'hostilité presque. Pillerault pourtant, très grand, très maigre, avec des gestes saccadés et un nez en lame de sabre, dans un visage osseux de chevalier errant, avait d'habitude la familiarité d'un joueur qui érigeait en principe le casse-cou, déclarant qu'il culbutait dans des catastrophes, chaque fois qu'il s'appliquait à réfléchir. Il était d'une nature exubérante de haussier, toujours tourné à la victoire, tandis que Moser, au contraire, de taille courte, le teint jaune, ravagé par une maladie de foie, se lamentait sans cesse, en proie à de continuelles craintes de cataclysme. Quant à Salmon, un très bel homme luttant contre la cinquantaine, étalant une barbe superbe, d'un noir d'encre, il passait pour un gaillard extraordinairement fort. Jamais il ne parlait, il ne répondait que par des sourires, on ne savait dans quel sens il jouait, ni même s'il jouait; et sa façon d'écouter impressionnait tellement Moser, que souvent celui-ci, après lui avoir fait une confidence