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La fille Elisa

Edmond de Goncourt

Edmond de Goncourt

La fille Elisa

PRÉFACE

Mon frГЁre et moi, il y a treize ans, nous Г©crivions en tГЄte de GerminieLacerteux:

В«Aujourd'hui que le roman s'Г©largit et grandit, qu'il commence Г  ГЄtre la grande forme sГ©rieuse, passionnГ©e, vivante de l'Г©tude littГ©raire et de l'enquГЄte sociale, qu'il devient par l'analyse et la recherche psychologique l'Histoire morale contemporaine, aujourd'hui que le roman s'est imposГ© les Г©tudes et les devoirs de la science, il peut en revendiquer les libertГ©s et les franchises.В»

En 1877, ces libertГ©s et ces franchises, je viens seul, et une derniГЁre fois peut-ГЄtre, les rГ©clamer hautement et bravement pour ce nouveau livre, Г©crit dans le mГЄme sentiment de curiositГ© intellectuelle et de commisГ©ration pour les misГЁres humaines.

Ce livre, j'ai la conscience de l'avoir fait austГЁre et chaste, sans que jamais la page Г©chappГ©e Г  la nature dГ©licate et brГ»lante de mon sujet, apporte autre chose Г  l'esprit de mon lecteur qu'une mГ©ditation triste. Mais il m'a Г©tГ© impossible parfois de ne pas parler comme un mГ©decin, comme un savant, comme un historien. Il serait vraiment injurieux pour nous, la jeune et sГ©rieuse Г©cole du roman moderne, de nous dГ©fendre de penser, d'analyser, de dГ©crire tout ce qu'il est permis aux autres de mettre dans un volume qui porte sur sa couverture: Г‰tude ou tout autre intitulГ© grave. On ne peut, Г  l'heure qu'il est, vraiment plus condamner le genre Г  ГЄtre l'amusement des jeunes demoiselles en chemin de fer. Nous avons acquis depuis le commencement du siГЁcle, il me semble, le droit d'Г©crire pour des hommes faits, sinon s'imposerait Г  nous la douloureuse nГ©cessitГ© de recourir aux presses Г©trangГЁres, et d'avoir comme sous Louis XIV et sous Louis XV, en plein rГ©gime rГ©publicain de la France, nos Г©diteurs de Hollande.

Les romans Г  l'heure prГ©sente sont remplis des faits et gestes de la prostitution clandestine, graciГ©s et pardonnГ©s dans une prose galante et parfois polissonne. Il n'est question dans les volumes florissant aux Г©talages que des amours vГ©nales de dames aux camГ©lias, de lorettes, de filles d'amour en contravention et en rupture de ban avec la police des moeurs, et il y aurait un danger Г  dessiner une sГ©vГЁre monographie de la prostituГ©e non clandestine, et l'immoralitГ© de l'auteur, remarquez-le, grandirait en raison de l'abaissement du tarif du vice? Non, je ne puis le croire!

Mais la prostitution et la prostituée, ce n'est qu'un épisode; la prison et la prisonnière: voilà l'intérêt de mon livre. Ici, je ne me cache pas d'avoir, au moyen du plaidoyer permis du roman, tenté de toucher, de remuer, de donner à réfléchir. Oui! cette pénalité du silence continu, ce perfectionnement pénitentiaire, auquel l'Europe n'a pas osé cependant emprunter ses coups de fouet sur les épaules nues de la femme, cette torture sèche, ce châtiment hypocrite allant au delà de la peine édictée par les magistrats et tuant pour toujours la raison de la femme condamnée à un nombre limité d'années de prison, ce régime américain et non français, ce système Auburn, j'ai travaillé à le combattre avec un peu de l'encre indignée qui, au dix-huitième siècle, a fait rayer la torture de notre ancien droit criminel. Et mon ambition, je l'avoue, serait que mon livre donnât la curiosité de lire les travaux sur la folie pénitentiaire [Rapports des docteurs Lélut et Baillarger dans la Revue pénitentiaire, t. II, 1845. – Exemples de folie pénitentiaire aux États-Unis, cités par le Dictionnaire de la politique, de Maurice Block.], amenât à rechercher le chiffre des imbéciles qui existent aujourd'hui dans les prisons de Clermont, de Montpellier, de Cadillac, de Doullens, de Rennes, d'Auberive, fît, en dernier ressort, examiner et juger la belle illusion de l'amendement moral par le silence, que mon livre enfin eût l'art de parler au coeur et à l'émotion de nos législateurs.

DГ©cembre 1876.

LA FILLE Г‰LISA

La femme allait-elle ГЄtre condamnГ©e Г  mort?