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Souvenirs d'une actrice (3/3)

Louise Fusil

Louise Fusil

Souvenirs d'une actrice (3/3)

VOYAGE EN SUГ€DE, FAISANT SUITE AUX SOUVENIRS D'UNE ACTRICE

Les annГ©es, les heures ne sont pas des mesures rГ©elles de la durГ©e de la vie; une longue vie est celle dans laquelle nous vivons Г  tous les instans et nous sentons vivre; une vie oГ№ les sentimens conservent leur fraГ®cheur Г  l'aide des associations du passГ©, oГ№ l'imagination est continuellement Г©veillГ©e par une continuation d'images; une vie, enfin, qui, en nous faisant sentir le bienfait ou le fardeau de l'existence, nous donne toujours la conscience de ce que nous devons ГЄtre. (LADY MORGAN.)

CHAPITRE PREMIER

Départ pour la Suède. – La Finlande. – Ville d'Abo. – L'île de Singelshar. – Les Rochers. – Le Golfe de Bothnie. – Mes Compagnons de Voyage.

N'ayant pu obtenir un passeport à Vilna pour retourner en France, ce fui au mois de février 1813 que je partis pour la Suède, avec quelques artistes du Théâtre-Français de Saint-Pétersbourg.

Nous passГўmes par la Finlande. ArrivГ©s Г  la ville d'Abo, ancienne capitale finoise, nous traversГўmes les dГ©troits de la Baltique, qui sГ©parent les Г®les de l'Archipel, auxquelles l'Г®le d'Aland donne son nom. Les dГ©troits Г©taient entiГЁrement gelГ©s. Cette traversГ©e est fort dangereuse: les vents et les courans rompent souvent ces immenses glaces; alors, malheur aux voyageurs qui s'y confient!

Nous nous trouvions donc sur les bords de la mer d'Aland, bras de la Baltique d'une longueur de 7 lieues, lequel sГ©pare la Finlande de la SuГЁde. L'approche du printemps prГ©sente des dangers d'une autre espГЁce: les dГ©gels subits augmentent le pГ©ril Г  un tel point qu'on est obligГ© d'expГ©dier le double des dГ©pГЄches par TornГ©o, chef-lieu de la Laponie, en prГ©vision des cas oГ№ les premiГЁres n'arriveraient pas, ce qui force les courriers Г  faire le tour du golfe Bothnique. Cet immense dГ©tour prouve assez les difficultГ©s de la voie directe. C'est au mois de mars que les lacs commencent Г  n'avoir plus assez de soliditГ© pour supporter un traГ®neau.

J'avais grande envie de faire comme les dépêches, et de passer par la Laponie, pays curieux à connaître d'ailleurs, et, pendant que j'étais en train de voyager pour mon instruction (c'était après la retraite de Russie), il ne m'en eût pas coûté davantage. Mais on me fit un tel tableau du froid, surtout dans cette saison, que je commençai à réfléchir, et je pensai que de deux dangers il fallait choisir le moindre. Je savais déjà, par expérience, ce que c'était de manquer de vivres, et l'on ne peut en conserver dans une semblable température, qui monte à 40 degrés; j'avais trouvé que c'était bien assez de 30.

Nos pilotes nous conduisirent d'Echero au rocher de Singelshar; cette île, d'un aspect effrayant, présente une nature morte, un lac entouré de roches nues et à pic, dont les teintes grisâtres se reflètent dans l'eau glacée. La neige qui remplit les crevasses et les inégalités semble s'y être arrêtée pour faire mieux ressortir, par sa blancheur, l'obscurité de cette atmosphère brumeuse. Des monceaux de glace, brisés par la force des courans, et amoncelés en différens endroits, présentent l'image du chaos, et jettent dans l'âme une sorte de découragement, et de profonde tristesse. Aucune végétation, aucun vestige d'hommes; seulement, çà et là, un peu de mousse et de verdure.

Ce sont de ces images dont la plume est inhabile Г  peindre l'impression produite sur nos sens.

Ceux qui ne les ont pas vues regardent ces récits comme un tableau qui peut ne pas être ressemblant. Ce n'est qu'en le contemplant qu'on en apprécie la vérité. Je crus, au premier abord, que ce triste séjour ne pouvait renfermer aucun être vivant. Cependant nous aperçûmes quelques misérables huttes de pêcheurs, accrochées aux rochers comme des coquillages, ou des nids d'oiseaux de proie, et bientôt nous découvrîmes la maison de poste où descendent les voyageurs et les courriers; c'est aussi là que demeuraient al