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Annette LaГЇs

Paul FГ©val

Paul FГ©val

Annette LaГЇs

ANNETTE LAГЏS

I.

MA FAMILLE

Mon oncle BГ©lГ©bon Г©tait encore coiffГ© Г  l'oiseau royal en 1842, Г©poque oГ№ il fut question pour la premiГЁre fois de faire de moi quelque chose. Je parle de lui d'abord parce qu'il Г©tait l'esprit de la famille, au dire de mes deux tantes Kerfily et de l'aumГґnier des Incurables. Mon oncle BГ©lГ©bon disait de son cГґtГ© que l'aumГґnier des Incurables Г©tait une fine mouche et que mes deux tantes Kerfily avaient un sens infaillible. Ce fut lГ  prГ©cisГ©ment ce qui me donna dГ©fiance de mon oncle BГ©lГ©bon, car aussitГґt que ma tante Kerfily-Bel-Е’il disait blanc, ma tante Kerfily-Nougat criait noir avec une voix d'oiseau qu'elle avait. Or, comment le noir et le blanc peuvent-ils avoir raison tous deux Г  la fois?

Mon oncle BГ©lГ©bon ne se faisait jamais Г  lui-mГЄme de ces questions indiscrГЁtes. C'Г©tait le despotisme incarnГ©: un bien brave homme, Г  part cela, et qui avait des boutons d'agate Г  son habit marron. Dans la nuit des temps, il avait Г©tГ© officier de marine, mais sans jamais monter Г  bord d'aucun vaisseau. В«Le mГ©tier de marin, disait-il parfois aprГЁs dГ®ner, est semГ© de dangers sans nombre. On n'y est sГ©parГ© de la mort que par une mince planche!В»

Il aimait passionnГ©ment cette idГ©e, qui est, du reste fort ingГ©nieuse et que j'ai retrouvГ©e dans beaucoup d'auteurs estimables.

En 1842, mon oncle BГ©lГ©bon avait soixante-seize ans bien sonnГ©s. Il se faisait des sourcils noirs avec je ne sais quoi et chantait encore les chansons de Mirabeau-Tonneau. Dans les moments de gaietГ© folle, il allait jusqu'Г  dГ©cocher des Г©pigrammes malignes Г  Robespierre et mГЄme Г  CambacГ©rГЁs.

Il faut vous dire tout de suite oГ№ cela se passait, car j'ai l'air de tomber des nues. Nous habitions l'hГґtel de KervignГ©, sur la place des Lices, Г  Vannes, chef-lieu du Morbihan. KervignГ© est le nom de notre famille, qui a donnГ© Г  la France deux amiraux et un lieutenant gГ©nГ©ral. Nous figurons Г  la salle des Croisades de Versailles. Mon pГЁre paya pour cela une note de cinquante-sept francs Г  la maison Godet-Regard de Plantecoq, Г  Paris, laquelle rhabille les gГ©nГ©alogies, ravaude les Г©cussons et va en ville. J'ai gardГ© un peu de rancune Г  ma noblesse, qui m'a jouГ© d'assez mГ©chants tours; mais cela ne nous empГЄche, nous, les KervignГ© de Vannes, d'ГЄtre la branche aГ®nГ©e et comtes depuis Louis XIV. Saint-Simon parle de nous. Les KervignГ© de Pontivy ne valent pas l'Г©pluchage. Nous ne cousinons pas. Ma mГЁre Г©tait Kerfily, une excellente famille de robe. La fortune venait de son cГґtГ©, quoique mon pГЁre fГ»t loin d'ГЄtre pauvre. Dieu merci, outre l'hГґtel de la place des Lices et le chГўteau qui est au bord de la mer, lГ -bas vers Carnac, nous avons toujours joui d'une trentaine de bonnes mille livres de rente.

Mais mon frГЁre le vicomte coГ»tait cher. Il Г©tait, s'il vous plaГ®t, Г  vingt-quatre ans, chef d'escadron de cuirassiers. Il faut soutenir cela. On avait fait, en outre, une belle dot Г  ma sЕ“ur la marquise. Ma mГЁre parlait quelquefois d'Г©conomie.

Le lecteur me pardonnera de m'arrГЄter un instant devant le portrait de ce souriant et charmant vieillard qui Г©tait mon pГЁre. Il avait assurГ©ment tout l'esprit qu'on prГЄtait Г  mon oncle BГ©lГ©bon. Il faisait des petits vers: j'en ai tout un recueil; il savait des quantitГ©s d'anecdotes et parlait des affaires du temps avec un bon sens parfait, quoiqu'il fГ»t abonnГ© de fondation au Journal des villes et Campagnes. Il Г©tait dГ©vot mais voltairien; je n'ai jamais vu qu'Г  lui ce mГ©lange du mysticisme breton et des gaietГ©s gauloises. L'oncle BГ©lГ©bon, les tantes Kerfily et l'aumГґnier des Incurables se rГ©unissaient parfois pour l'Г©teindre, mais il lui arrivait de les mener tambour battant quand on avait de bonnes nouvelles du vicomte ou qu'on mettait en perce un tonneau de Saint-Emilion.

Saperbleure! (c'Г©tait le juron de ses jours d'extra) il n'y en avait pas beaucoup Г  Vannes pour le gagner au