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ConsidГ©rations inactuelles, deuxiГЁme sГ©rie

Фридрих Вильгельм Ницше

Friedrich Wilhelm Nietzsche

ConsidГ©rations inactuelles, deuxiГЁme sГ©rie Schopenhauer Г©ducateur, Richard Wagner Г  Bayreuth

I

SCHOPENHAUER Г‰DUCATEUR

(1874)

1

Ce voyageur, qui avait vu beaucoup de pays et de peuples, et visitГ© plusieurs parties du monde, et Г  qui l'on demandait quel Г©tait le caractГЁre gГ©nГ©ral qu'il avait retrouvГ© chez tous les hommes, rГ©pondait que c'Г©tait leur penchant Г  la paresse. Certaines gens penseront qu'il eГ»t pu rГ©pondre avec plus de justesse: ils sont tous craintifs. Au fond, tout homme sait fort bien qu'il n'est sur la terre qu'une seule fois, en un exemplaire unique, et qu'aucun hasard, si singulier qu'il soit, ne rГ©unira, pour la seconde fois, en une seule unitГ©, quelque chose d'aussi multiple et d'aussi curieusement mГЄlГ© que lui. Il le sait, mais il s'en cache, comme s'il avait mauvaise conscience. Pourquoi? Par crainte du voisin, qui exige la convention et s'en enveloppe lui-mГЄme. Mais qu'est-ce qui force l'individu Г  craindre le voisin, Г  penser, Г  agir selon le mode du troupeau, et Г  ne pas ГЄtre content de lui-mГЄme? La pudeur peut-ГЄtre chez certains, mais ils sont rares. Chez le plus grand nombre, c'est le goГ»t des aises, la nonchalance, bref ce penchant Г  la paresse dont parle le voyageur. Il a raison: les hommes sont encore plus paresseux que craintifs, et ce qu'ils craignent le plus ce sont les embarras que leur occasionneraient la sincГ©ritГ© et la loyautГ© absolues. Les artistes seuls dГ©testent cette attitude relГўchГ©e, faite de convention et d'opinions empruntГ©es, et ils dГ©voilent le mystГЁre, ils montrent la mauvaise conscience de chacun, affirmant que tout homme est un mystГЁre unique. Ils osent nous montrer l'homme tel qu'il est lui-mГЄme et lui seul, jusque dans tous ses mouvements musculaires; et mieux encore, que, dans la stricte consГ©quence de son individualitГ©, il est beau et digne d'ГЄtre contemplГ©, qu'il est nouveau et incroyable comme toute Е“uvre de la nature, et nullement ennuyeux. Quand le grand penseur mГ©prise les hommes, il mГ©prise leur paresse, car c'est Г  cause d'elle qu'ils ressemblent Г  une marchandise fabriquГ©e, qu'ils paraissent sans intГ©rГЄt, indignes qu'on s'occupe d'eux et qu'on les Г©duque. L'homme qui ne veut pas faire partie de la masse n'a qu'Г  cesser de s'accommoder de celle-ci; qu'il obГ©isse Г  sa conscience qui lui dit: В«Sois toi-mГЄme! Tout ce que tu fais maintenant, tout ce que tu penses et tout ce que tu dГ©sires, ce n'est pas toi qui le fais, le penses et le dГ©sires.В»

Toute jeune âme entend cet appel de jour et de nuit, et il la fait frémir, car elle devine la mesure de bonheur qui lui est départie de toute éternité quand elle songe à sa véritable délivrance. Mais ce bonheur elle ne saurait l'atteindre d'aucune façon, tant qu'elle demeure prisonnière dans les chaînes des opinions et de la crainte. Et combien, sans cette délivrance, la vie peut être désespérante et dépourvue de signification! Il n'y a pas, dans la nature, de créature plus morne et plus répugnante que l'homme qui a échappé à son génie, et qui maintenant louche à droite et à gauche, derrière lui et partout. En fin de compte, on ne peut plus même attaquer un pareil homme, car il est tout de surface, sans noyau véritable; il est comme un vêtement défraîchi, mis à neuf et que l'on fait bouffer, comme un fantôme galonné qui ne peut plus inspirer la crainte et certainement pas la pitié. Si l'on dit à juste titre du paresseux qu'il tue le temps, il faut veiller sérieusement à ce qu'une époque qui place son salut dans l'opinion publique, c'est-à-dire dans la paresse privée, soit véritablement une fois mise à mort; je veux dire par là qu'elle doit être rayée de l'histoire de la délivrance véritable de la vie. Combien grande devra être la répugnance des générations futures, lorsqu'elles auront à s'occuper de l'héritage de cette période au cours de laquelle ce ne furent pas des hommes vivants qui