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La vie de Rossini, tome II

Stendhal

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La vie de Rossini, tome II

CHAPITRE XX

LA CENERENTOLA

Jai entendu pour la premiГЁre fois la Cenerentola Г  Trieste; elle Г©tait divinement chantГ©e par madame Pasta, aussi piquante dans le rГґle de Cendrillon qu'elle est tragique dans RomГ©o; par Zuchelli, dont le public de Paris a le tort de ne pas assez apprГ©cier la voix magnifique et pure; et enfin par le dГ©licieux bouffe Paccini.

Il est difficile de rencontrer un opГ©ra mieux montГ©. Le public de Trieste fut de cet avis; car, au lieu de trente reprГ©sentations de la Cenerentola que madame Pasta devait donner, il en exigea cent.

MalgrГ© le talent des acteurs et l'enthousiasme du public, chose si nГ©cessaire au plaisir musical, la Cenerentola ne me fit aucun plaisir. Le premier jour, je me crus malade; je fus obligГ© de m'avouer aux reprГ©sentations suivantes, qui me laissaient froid et glacГ© au milieu d'un public ivre de joie, que mon malheur Г©tait un accident personnel. La musique de la Cenerentola me paraГ®t manquer de beau idГ©al.

Il est des spectateurs peu attentifs au mérite de la difficulté vaincue, et auxquels la musique ne plaît que par les illusions romanesques et brillantes dont elle berce leur imagination. Si la musique est mauvaise, elle ne donne rien à l'imagination; si elle est sans idéal, elle fournit des images qui choquent comme basses, et l'imagination repoussée prend son vol ailleurs. En voyant la Cenerentola sur l'affiche, je dirais volontiers comme le marquis de Moncade: C'est ce soir que je m'encanaille. Cette musique fixe constamment mon imagination sur des malheurs ou des jouissances de vanité, sur le bonheur d'aller au bal avec de beaux habits ou d'être nommé maître d'hôtel par un prince. Or, né en France et l'ayant longtemps habitée, j'avoue que je suis las et de la vanité, et des désappointements de la vanité, et du caractère gascon, et des cinq ou six cents vaudevilles qu'il m'a fallu essuyer sur les mécomptes de la vanité. Depuis la mort des derniers hommes de génie, d'Églantine et Beaumarchais, tout notre théâtre ne roule que sur un seul mobile, la vanité; la société elle-même, du moins les dix-neuf vingtièmes de la société et tout ce qu'elle renferme de vulgaire, n'est mis en activité que par un seul mobile, la vanité. On peut, je crois, sans cesser d'aimer la France, être un peu las de cette passion qui, chez nous, remplace toutes les autres.

J'allais Г  Trieste pour chercher du nouveau; en voyant la Cenerentola, je me crus encore au Gymnase.

La musique est incapable de parler vite; elle peut peindre les nuances de passions les plus fugitives, des nuances qui Г©chapperaient Г  la plume des plus grands Г©crivains; on peut mГЄme dire que son empire commence oГ№ finit celui de la parole; mais ce qu'elle peint, elle ne peut pas le montrer Г  moitiГ©. Elle partage en ce sens les dГ©savantages de la sculpture, mise en rivalitГ© avec la peinture sa sЕ“ur: la plupart des objets qui nous frappent dans la vie rГ©elle sont interdits Г  la sculpture, parce qu'elle a le malheur d'ГЄtre hors d'Г©tat de peindre Г  demi. Un guerrier cГ©lГЁbre, couvert de son armure, est magnifique sous le pinceau de Paul VГ©ronГЁse ou de Rubens; rien de plus ridicule et de plus lourd sous le ciseau du sculpteur. Voyez le Henri IV de la cour du Louvre[1 - Ce qu'une lettre Г  Г©crire Г  une femme d'esprit que l'on aime un peu est Г  l'Г©gard de la simple conversation, la sculpture l'est Г  l'Г©gard de la peinture. Dans les deux genres, la grande difficultГ© est de ne pas marquer trop ce qui ne mГ©rite que d'ГЄtre indiquГ©.].

Un sot fera un rГ©cit pompeux et faux d'un prГ©tendu combat dans lequel il s'est couvert de gloire; le chant est de bonne foi et nous peint sa valeur, mais l'accompagnement se moque de lui. Cimarosa a fait vingt chefs-d'Е“uvre sur des donnГ©es de cette espГЁce.

La mГ©lodie ne peut pas fixer Г  demi notre imagination sur une nuance de passion, cet avantage est rГ©servГ© Г  l'harmonie; mais remarquez que l'harmonie ne peut peindre que des nuances rapides et