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Partie carrГ©e

ThГ©ophile Gautier

ThГ©ophile Gautier

Partie carrГ©e

I

Une pГўle aurore de novembre encore mal Г©veillГ©e se frottait les yeux derriГЁre une courtine de nuages grisГўtres, et dГ©jГ  le digne hГґtelier Geordie se tenait debout sur le seuil de son auberge, les bras aussi croisГ©s que le permettait un abdomen plus que majestueux, qui tГ©moignait on ne peut plus favorablement de la cuisine du Lion rouge.

Il avait l'air profondГ©ment tranquille d'un aubergiste qui, Г©tant unique, se sent maГ®tre de la situation et ne craint pas que les voyageurs puissent lui Г©chapper; car le Lion rouge Г©tait, en ce temps-lГ , la seule hГґtellerie de Folkstone.

Folkstone, au temps oГ№ se passait l'histoire que nous entreprenons de raconter, n'Г©tait qu'un petit village dont les maisons de briques jaunes et de planches goudronnГ©es s'Г©chelonnaient un peu au hasard sur la pente qui, de la montagne, descend Г  la mer.

La maison de Geordie était une des plus belles, sinon la plus belle de Folkstone. A l'angle du bâtiment, au bout d'une volute de fer élégamment contournée, se balançait à la brise de mer le lion rouge découpé en tôle, dont les vapeurs salines de l'Océan nécessitaient de raviver fréquemment les couleurs, et qui, repeint depuis peu, flamboyait aussi fièrement qu'un lion de gueules sur champ d'or dans un manuel héraldique.

Geordie rГЄvait, mais les rГЄves qu'il faisait n'avaient rien de poГ©tique. Il supputait dans sa tГЄte les bГ©nГ©fices du mois qui venait de s'Г©couler, et, comme ils dГ©passaient de quelques guinГ©es le gain des mois prГ©cГ©dents, Geordie pensait que, si cette augmentation se soutenait, il pourrait, dans peu de temps, acheter cette piГЁce de terre dont il avait si grande envie et qui faisait dans ses domaines un angle si dГ©sagrГ©able.

Il en Г©tait lГ  de sa rГЄverie, lorsqu'un individu de mine assez farouche, plantГ© devant lui depuis quelques minutes, mais que sa prГ©occupation l'empГЄchait d'apercevoir, ne trouvant sans doute pas d'autre moyen de se faire remarquer, lui appliqua sur le ventre une de ces tapes que les hommes osseux et maigres se plaisent Г  donner aux hommes obГЁses, par ironie ou par vengeance.

RГ©voltГ© de cette familiaritГ© de mauvais goГ»t, qui lui Г©tait particuliГЁrement dГ©sagrГ©able et qu'il supportait Г  peine de ses intimes et de ses plus riches pratiques, Geordie fit un saut en arriГЁre avec une assez grande lГ©gГЁretГ© pour un homme de sa corpulence; et, voyant son agresseur couvert de vГЄtements qui Г©taient loin d'annoncer la richesse, il fit ce calcul mental: В«VoilГ  un drГґle qui consommera tout au plus une tranche de bЕ“uf avec une pinte de demi-biГЁre et un verre de wiskey, et qui est insolent comme un seigneur soupant d'une fine poularde arrosГ©e de Clairet et de vin de Champagne. Je ne risque qu'un shilling et quelques pence Г  lui dire son fait.В»

– Eh bien, animal, butor, bête brute, homme sans éducation! s'écria Geordie après le raisonnement que nous venons de transcrire, est-ce ainsi que l'on entre en conversation avec des gens comme il faut? Je ne fais pas mes compliments à ceux qui vous ont élevé.

– La, la, calmez-vous, gros homme! est-ce que je pouvais rester devant vous fiché en terre comme un pieu jusqu'au jugement dernier? J'avais toussé trois fois, je vous avais appelé deux fois par votre nom, maître Geordie, et vous ne bougiez non plus qu'un muid; il fallait bien que je fisse sentir ma présence, répondit l'individu qui venait de frapper sur la panse à la Falstaff du digne hôtelier, d'un ton railleur où ne perçaient nulle crainte et nul repentir.

– Vous pouviez vous faire apercevoir d'une façon plus délicate, reprit maître Geordie d'un ton indigné encore, mais où la parole ferme et le regard assuré de l'inconnu glissaient déjà une note plus timide.

– Allons, éléphant hospitalier, désobstruez votre seuil, si vous voulez que je passe et que je pénètre dans la salle de l'hôtel du Lion rouge, le meilleur et le seul de Folkstone.

MaГ®tre Geordie, qui connaissait le cЕ“ur humain et