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La petite comtesse

Octave Feuillet

Octave Feuillet

La petite comtesse

I

GEORGES L. A PAUL B., A PARIS

В В В В Du Rozel, 15 septembre.

Il est neuf heures du soir, mon ami, et tu arrives d'Allemagne. On te remet ma lettre, dont le timbre t'annonce d'abord que je suis absent de Paris. Tu te permets un geste d'humeur, et tu me traites de vagabond. Cependant, tu te plonges dans ton meilleur fauteuil, tu ouvres ma lettre, et tu apprends que je suis installé depuis cinq jours dans un moulin de basse Normandie. – "Un moulin! comment diantre! que peut-il faire dans un moulin?" – Ton front se plisse, tes sourcils se rapprochent: tu déposes ma lettre pour un moment, tu prétends pénétrer ce mystère par le seul effort de ton imaginative. Soudain un aimable enjouement se peint sur tes traits; ta bouche exprime l'ironie du sage, tempérée par l'indulgence de l'ami, tu as entrevu dans un nuage d'opéra-comique une meunière poudrée, un corsage de rubans en échelle, une jupe fine et courte, et des bas à coins dorés; bref, une de ces meunières dont le coeur fait tic tac avec accompagnement de hautbois. – Mais les Grâces, qui se jouent sans cesse devant ta pensée, l'égarent parfois: ma meunière ressemble à la tienne comme je ressemble au jeune Colin; elle est coiffée d'un vaste bonnet de coton, auquel la couche la plus intense de farine ne réussit pas à rendre sa couleur primitive; elle porte un jupon d'une laine grossière, qui écorcherait la peau d'un éléphant; bref, il m'arrive fréquemment de confondre la meunière avec le meunier; après quoi, il est superflu d'ajouter que je ne suis nullement curieux de savoir si son coeur fait tic tac.

La vérité est que, ne sachant comment tuer le temps, en ton absence, et n'ayant pas lieu d'espérer ton retour avant un mois (c'est ta faute), j'ai sollicité une mission. Le conseil général du département de… venait tout à point d'émettre le voeu qu'une certaine abbaye ruinée, dite l'abbaye du Rozel, fût classée parmi les monuments historiques: on m'a chargé d'examiner de près les titres de la postulante. Je me suis rendu en toute hâte au chef-lieu de ce département artistique, où j'ai fait mon entrée avec la gravité importante d'un homme qui tient entre ses mains la vie ou la mort d'un monument cher au pays. J'ai pris dans l'hôtel quelques renseignements: grande a été ma mortification quand j'ai reconnu que personne ne paraissait soupçonner qu'une abbaye du Rozel existât ou eût jamais existé à cent lieues à la ronde. – Je me suis présenté à la préfecture, sous le coup de ce désenchantement: le préfet, qui est V… que tu connais, m'a reçu avec sa bonne grâce ordinaire; mais aux questions que je lui adressais sur l'état des ruines qu'il s'agissait de conserver à l'amour traditionnel de ses administrés, il m'a répondu, avec un sourire distrait, que sa femme, qui avait vu ces ruines dans une partie de campagne, pendant son séjour aux bains de mer, m'en parlerait mieux qu'il ne saurait le faire.

Il m'invita à dîner, et, le soir, madame V… après les combats ordinaires de la pudeur expirante, me montra sur son album quelques vues des fameuses ruines dessinées avec goût. Elle s'exalta tout doucement en me parlant de ces vénérables restes, encadrés, si on l'en croit, dans un site enchanteur, et fort propres, surtout, aux parties de campagne. Un regard suppliant et corrupteur termina sa harangue. Il me semble évident que cette jeune femme est la seule personne du département qui porte à cette pauvre vieille abbaye un intérêt véritable, et que les pères conscrits du conseil général ont émis un voeu de pure galanterie. Au surplus, il m'est impossible de ne pas me ranger à leur opinion: l'abbaye a de beaux yeux; elle mérite d'être classée, elle le sera.

Mon siГ©ge Г©tait donc fait, dГЁs ce moment; mais il fallait encore l'Г©crire et l'appuyer de quelques piГЁces justificatives. Malheureusement, les archives et les bibliothГЁques locales n'abondent pas en traditions relatives Г  mon sujet: aprГЁs deux jou