Назад к книге «Elle et lui» [Жорж Санд]

Elle et lui

Жорж Санд

George Sand

Elle et lui

A MADEMOISELLE JACQUES

Ma chГЁre ThГ©rГЁse, puisque vous me permettez de ne pas vous appeler mademoiselle, apprenez une nouvelle importante dans le monde des arts, comme dit notre ami Bernard. Tiens! Г§a rime; mais ce qui n'a ni rime ni raison, c'est ce que je vais vous raconter.

Figurez-vous qu'hier, après vous avoir ennuyée de ma visite, je trouvai, en rentrant chez moi, un milord anglais… Après ça, ce n'est peut-être pas un milord; mais, pour sûr, c'est un Anglais, lequel me dit en son patois:

– Vous êtes peintre?

– Yes, milord.

– Vous faites la figure?

– Yes, milord.

– Et les mains?

– Yes, milord; les pieds aussi.

– Bon!

– Très-bons!

– Oh! je suis sûr!

– Eh bien, voulez-vous faire le portrait de moi?

– De vous?

– Pourquoi pas?

Le pourquoi pas fut dit avec tant de bonhomie, que je cessai de le prendre pour un imbécile, d'autant plus que le fils d'Albion est un homme magnifique. C'est la tête d'Antinoüs sur les épaules de… sur les épaules d'un Anglais; c'est un type grec de la meilleure époque sur le buste un peu singulièrement habillé et cravaté d'un spécimen de la fashion britannique.

– Ma foi! lui ai-je dit, vous êtes un beau modèle, à coup sûr, et j'aimerais à faire de vous une étude à mon profit; mais je ne peux pas faire votre portrait.

– Pourquoi donc?

– Parce que je ne suis pas peintre de portraits.

– Oh!.. Est-ce qu'en France vous payez une patente pour telle ou telle spécialité dans les arts?

– Non; mais le public ne nous permet guère de cumuler. Il veut savoir à quoi s'en tenir sur notre compte, quand nous sommes jeunes surtout; et, si j'avais, moi qui vous parle et qui suis fort jeune, le malheur de faire de vous un bon portrait, j'aurais beaucoup de peine à réussir à la prochaine exposition avec autre chose que des portraits: de même que, si je ne faisais de vous qu'un portrait médiocre, on me défendrait d'en jamais essayer d'autres: on décréterait que je n'ai pas les qualités de l'emploi, et que j'ai été un présomptueux de m'y risquer.

Je racontai Г  mon Anglais beaucoup d'autres sornettes dont je vous fais grГўce, et qui lui firent ouvrir de grands yeux; aprГЁs quoi, il se mit Г  rire, et je vis clairement que mes raisons lui inspiraient le plus profond mГ©pris pour la France, sinon pour votre petit serviteur.

– Tranchons le mot, me dit-il. Vous n'aimez pas le portrait.

– Comment! pour quel Welche me prenez-vous? Dites plutôt que je n'ose pas encore faire le portrait, et que je ne saurais pas le faire, vu que, de deux choses l'une: ou c'est une spécialité qui n'en admet pas d'autres, ou c'est la perfection, et comme qui dirait la couronne du talent. Certains peintres, incapables de rien composer, peuvent copier fidèlement et agréablement le modèle vivant. Ceux-là ont un succès assuré, pour peu qu'ils sachent présenter le modèle sous son aspect le plus favorable, et qu'ils aient l'adresse de l'habiller à son avantage tout en l'habillant à la mode; mais, quand on n'est qu'un pauvre peintre d'histoire, très-apprenti et très-contesté, comme j'ai l'honneur d'être, on ne peut pas lutter contre des gens du métier. Je vous avoue que je n'ai jamais étudié avec conscience les plis d'un habit noir et les habitudes particulières d'une physionomie donnée. Je suis un malheureux inventeur d'attitudes, de types et d'expressions. Il faut que tout cela obéisse à mon sujet, à mon idée, à mon rêve, si vous voulez. Si vous me permettiez de vous costumer à ma guise, et de vous poser dans une composition de mon cru… Encore, tenez, cela ne vaudrait rien, ce ne serait pas vous. Ce ne serait pas un portrait à donner à votre maîtresse… encore moins à votre femme légitime. Ni l'une ni l'autre ne vous reconnaîtraient. Donc, ne me demandez pas maintenant ce que je saurai pourtant faire un jour, si par hasard je deviens Rubens ou Titien, parce qu'al