Le Rhin, Tome I
Victor Hugo
Victor Hugo
Le Rhin, Tome I
Il y a quelques annГ©es, un Г©crivain, celui qui trace ces lignes, voyageait sans autre but que de voir des arbres et le ciel, deux choses qu'on ne voit pas Г Paris.Il y a quelques annГ©es, un Г©crivain, celui qui trace ces lignes, voyageait sans autre but que de voir des arbres et le ciel, deux choses qu'on ne voit pas Г Paris.
C'Г©tait lГ son objet unique, comme le reconnaГ®tront ceux de ces lecteurs qui voudront bien feuilleter les premiГЁres pages de ce premier volume.
Tout en allant ainsi devant lui presque au hasard, il arriva sur les bords du Rhin.
La rencontre de ce grand fleuve produisit en lui ce qu'aucun incident de son voyage ne lui avait inspirГ© jusqu'Г ce moment; une volontГ© de voir et d'observer dans un but dГ©terminГ© fixa la marche errante de ses idГ©es, imprima une signification prГ©cise Г son excursion d'abord capricieuse, donna un centre Г ses Г©tudes, en un mot, le fit passer de la rГЄverie Г la pensГ©e.
Le Rhin est le fleuve dont tout le monde parle et que personne n'Г©tudie, que tout le monde visite et que personne ne connaГ®t, qu'on voit en passant et qu'on oublie en courant, que tout regard effleure et qu'aucun esprit n'approfondit. Pourtant ses ruines occupent les imaginations Г©levГ©es, sa destinГ©e occupe les intelligences sГ©rieuses; et cet admirable fleuve laisse entrevoir Г l'Е“il du poГ«te comme Г l'Е“il du publiciste, sous la transparence de ses flots, le passГ© et l'avenir de l'Europe.
L'Г©crivain ne put rГ©sister Г la tentation d'examiner le Rhin sous ce double aspect. La contemplation du passГ© dans les monuments qui meurent, le calcul de l'avenir dans les rГ©sultantes probables des faits vivants, plaisaient Г son instinct d'antiquaire et Г son instinct de songeur. Et puis, infailliblement, un jour, bientГґt peut-ГЄtre, le Rhin sera la question flagrante du continent. Pourquoi ne pas tourner un peu d'avance sa mГ©ditation de ce cГґtГ©? FГ»t-on en apparence plus assidГ»ment livrГ© Г d'autres Г©tudes, non moins hautes, non moins fГ©condes, mais plus libres dans le temps et l'espace, il faut accepter, lorsqu'elles se prГ©sentent, certaines tГўches austГЁres de la pensГ©e. Pour peu qu'il vive Г l'une des Г©poques dГ©cisives de la civilisation, l'Гўme de ce qu'on appelle le poГ«te est nГ©cessairement mГЄlГ©e Г tout, au naturalisme, Г l'histoire, Г la philosophie, aux hommes et aux Г©vГ©nements, et doit toujours ГЄtre prГЄte Г aborder les questions pratiques comme les autres. Il faut qu'il sache au besoin rendre un service direct, et mettre la main Г la manЕ“uvre. Il y a des jours oГ№ tout habitant doit se faire soldat, oГ№ tout passager doit se faire matelot. Dans l'illustre et grand siГЁcle ou nous sommes, n'avoir pas reculГ© dГЁs le premier jour devant la laborieuse mission de l'Г©crivain, c'est s'ГЄtre imposГ© la loi de ne reculer jamais. Gouverner les nations, c'est assumer une responsabilitГ©; parler aux esprits, c'est en assumer une autre; et l'homme de cЕ“ur, si chГ©tif qu'il soit, dГЁs qu'il s'est donnГ© une fonction, la prend au sГ©rieux. Recueillir les faits, voir les choses par soi-mГЄme, apprГ©cier les difficultГ©s, coopГ©rer, s'il le peut, aux solutions, c'est la condition mГЄme de sa mission, sincГЁrement comprise. Il ne s'Г©pargne pas, il tente, il essaye, il s'efforce de comprendre; et, quand il a compris, il s'efforce d'expliquer. Il sait que la persГ©vГ©rance est une force. Cette force, on peut toujours l'ajouter Г sa faiblesse. La goutte d'eau qui tombe du rocher perce la montagne; pourquoi la goutte d'eau qui tombe d'un esprit ne percerait-elle pas les grands problГЁmes historiques?
L'Г©crivain qui parle ici se donna donc en toute conscience et en tout dГ©vouement au grave travail qui surgissait devant lui; et, aprГЁs trois mois d'Г©tudes, Г la vГ©ritГ© fort mГЄlГ©es, il lui sembla que de ce voyage d'archГ©ologue et de curieux, au milieu de sa moisson de poГ©sie et de souvenirs, il rapportait peut-ГЄtre une pensГ©e immГ©diatement utile Г son pays.
Etudes fort mГЄlГ©es, c'est le mot