Victor Hugo
ThГ©ophile Gautier
ThГ©ophile Gautier
Victor Hugo
I
1830
1830!.. Les gГ©nГ©rations actuelles doivent se figurer difficilement l'effervescence des esprits Г cette Г©poque; il s'opГ©rait un mouvement pareil Г celui de la Renaissance. Une sГЁve de vie nouvelle circulait impГ©tueusement. Tout germait, tout bourgeonnait, tout Г©clatait Г la fois. Des parfums vertigineux se dГ©gageaient des fleurs; l'air grisait, on Г©tait fou de lyrisme et d'art. Il semblait qu'on vГ®nt de retrouver le grand secret perdu, et cela Г©tait vrai, on avait retrouvГ© la poГ©sie.
On ne saurait imaginer Г quel degrГ© d'insignifiance et de pГўleur en Г©tait arrivГ©e la littГ©rature. La peinture ne valait guГЁre mieux. Les derniers Г©lГЁves de David Г©talaient leur coloris fade sur les vieux poncifs grГ©co-romains. Les classiques trouvaient cela parfaitement beau; mais devant ces chefs-d'Е“uvre, leur admiration ne pouvait s'empГЄcher de mettre la main devant la bouche pour masquer un bГўillement, ce qui ne les rendait pas plus indulgents pour les artistes de la jeune Г©cole, qu'ils appelaient des sauvages tatouГ©s et qu'ils accusaient de peindre avec В«un balai ivreВ». On ne laissait pas tomber leurs insultes Г terre; on leur renvoyait momies pour sauvages, et de part et d'autre on se mГ©prisait parfaitement.
En ce temps-lГ , notre vocation littГ©raire n'Г©tait pas encore dГ©cidГ©e; notre intention Г©tait d'ГЄtre peintre, et, dans cette idГ©e, nous Г©tions entrГ© Г l'atelier de Rioult.
On lisait beaucoup alors dans les ateliers. Les rapins aimaient les lettres, et leur Г©ducation spГ©ciale, les mettant en rapport familier avec la nature, les rendait plus propres Г sentir les images et les couleurs de la poГ©sie nouvelle. Ils ne rГ©pugnaient nullement aux dГ©tails prГ©cis et pittoresques si dГ©sagrГ©ables aux classiques. HabituГ©s Г leur libre langage entremГЄlГ© de termes techniques, le mot propre n'avait pour eux rien de choquant. Nous parlons des jeunes rapins, car il y avait aussi les Г©lГЁves bien sages, fidГЁles, au dictionnaire de ChomprГ© et au tendon d'Achille, estimГ©s du professeur et citГ©s par lui pour exemple. Mais ils ne jouissaient d'aucune popularitГ©, et l'on regardait avec pitiГ© leur sobre palette oГ№ ne brillait ni vert vГ©ronГЁse, ni jaune indien, ni laque de Smyrne, ni aucune des couleurs sГ©ditieuses proscrites par l'Institut.
Chateaubriand peut être considéré comme l'aïeul, ou, si vous l'aimez mieux, comme le Sachem du Romantisme en France. Dans le Génie du Christianisme il restaura la cathédrale gothique; dans les Natchez, il rouvrit la grande nature fermée; dans René, il inventa la mélancolie et la passion moderne. Par malheur, à cet esprit si poétique manquaient précisément les deux ailes de la poésie – le vers – ces ailes, Victor Hugo les avait, et d'une envergure immense, allant d'un bout à l'autre du ciel lyrique, il montait, il planait, il décrivait des cercles, il se jouait avec une liberté et une puissance qui rappelaient le vol de l'aigle.
Quel temps merveilleux! Walter Scott Г©tait alors dans toute sa fleur de succГЁs; on s'initiait aux mystГЁres du Faust de GЕ“the, qui contient tout, selon l'expression de Mme de StaГ«l, et mГЄme quelque chose d'un peu plus que tout. On dГ©couvrait Shakespeare sous la traduction un peu raccommodГ©e de Letourneur, et les poГЁmes de lord Byron, le Corsaire, Lara, le Giaour, Manfred, Beppo, Don Juan, nous arrivaient de l'Orient, qui n'Г©tait pas banal encore. Comme tout cela Г©tait jeune, nouveau, Г©trangement colorГ© d'enivrante et forte saveur! La tГЄte nous en tournait; il semblait qu'on entrГўt dans des mondes inconnus. ГЂ chaque page on rencontrait des sujets de composition qu'on se hГўtait de crayonner ou d'esquisser furtivement, car de tels motifs n'eussent pas Г©tГ© du goГ»t du maГ®tre et auraient pu, dГ©couverts, nous valoir un bon coup d'appui-main sur la tГЄte.
C'Г©tait dans ces dispositions d'esprit que nous dessinions notre acadГ©mie, tout en rГ©citant Г notre voisin de chevalet le Pa