ActГ©
Alexandre Dumas
Alexandre Dumas
ActГ©
PrГ©face
RГ©sumГ©
Écrit en 1839, ce roman peu connu est l'une des rares fictions de Dumas se situant dans l'antiquité (avec, bien entendu, Isaac Laquedem, son grand roman inachevé). Acté est une jeune Corinthienne qui devient la maîtresse de l'empereur Néron. Son histoire permet à l'écrivain d'évoquer le règne du cruel empereur, en une fresque impressionnante…
Chapitre I
Le 7 du mois de mai, que les Grecs appellent thargélion, l'an 57 du Christ et 810 de la fondation de Rome, une jeune fille de quinze à seize ans, grande, belle et rapide comme la Diane chasseresse, sortait de Corinthe par la porte occidentale, et descendait vers la plage: arrivée à une petite prairie, bordée d'un côté par un bois d'oliviers, et de l'autre par un ruisseau ombragé d'orangers et de lauriers-roses, elle s'arrêta et se mit à chercher des fleurs. Un instant elle balança entre les violettes et les glaïeuls que lui offrait l'ombrage des arbres de Minerve, et les narcisses et les nymphéas qui s'élevaient sur les bords du petit fleuve ou flottaient à sa surface; mais bientôt elle se décida pour ceux-ci, et, bondissant comme un jeune faon, elle courut vers le ruisseau.
ArrivГ©e sur ses rives, elle s'arrГЄta; la rapiditГ© de sa course avait dГ©nouГ© ses longs cheveux; elle se mit Г genoux au bord de l'eau, se regarda dans le courant, et sourit en se voyant si belle. C'Г©tait en effet une des plus ravissantes vierges de l'AchaГЇe, aux yeux noirs et voluptueux, au nez ionien et aux lГЁvres de corail; son corps, qui avait Г la fois la fermetГ© du marbre et la souplesse du roseau, semblait une statue de Phidias animГ©e par PromГ©thГ©e; ses pieds seuls, visiblement trop petits pour porter le poids de sa taille, paraissaient disproportionnГ©s avec elle, et eussent Г©tГ© un dГ©faut, si l'on pouvait songer Г reprocher Г une jeune fille une semblable imperfection: si bien que la nymphe PyrГЁne, qui lui prГЄtait le miroir de ses larmes, toute femme qu'elle Г©tait, ne put se refuser Г reproduire son image dans toute sa grГўce et dans toute sa puretГ©. AprГЁs un instant de contemplation muette, la jeune fille sГ©para ses cheveux en trois parties, fit deux nattes de ceux qui descendaient le long des tempes, les rГ©unit sur le sommet de la tГЄte, les fixa par une couronne de laurier-rose et de fleurs d'oranger qu'elle tressa Г l'instant mГЄme; et laissant flotter ceux qui, retombaient par derriГЁre, comme la criniГЁre du casque de Pallas, elle se pencha sur l'eau pour Г©tancher la soif qui l'avait attirГ©e vers cette partie de la prairie, mais qui, toute pressante qu'elle Г©tait, avait cependant cГ©dГ© Г un besoin plus pressant encore, celui de s'assurer qu'elle Г©tait toujours la plus belle des filles de Corinthe. Alors la rГ©alitГ© et l'image se rapprochГЁrent insensiblement l'une de l'autre; on eГ»t dit deux sЕ“urs, une nymphe et une naГЇade, qu'un doux embrassement allait unir: leurs lГЁvres se touchГЁrent dans un bain humide, l'eau frГ©mit, et une lГ©gГЁre brise, passant dans les airs comme un souffle de voluptГ©, fit pleuvoir sur le fleuve une neige rose et odorante que le courant emporta vers la mer.
En se relevant, la jeune fille porta les yeux sur le golfe, et resta un instant immobile de curiosité: une galère à deux rangs de rames, à la carène dorée et aux voiles de pourpre, s'avançait vers la plage, poussée par le vent qui venait de Délos; quoiqu'elle fût encore éloignée d'un quart de mille, on entendait les matelots qui chantaient un chœur à Neptune: La jeune fille reconnut le mode phrygien, qui était consacré aux hymnes religieux; seulement, au lieu des voix rudes des mariniers de Calydon ou de Céphalonie, les notes qui arrivaient jusqu'à elle, quoique dispersées et affaiblies par la brise, étaient savantes et douces à l'égal de celles que chantaient les prêtresses d'Apollon. Attirée par cette mélodie, la jeune Corinthienne se leva, brisa quelques branches d'oranger et de laurier-rose destinées à faire une seconde couronne qu'elle comp