Lucrezia Floriani
Жорж Санд
George Sand
Lucrezia Floriani
NOTICE
Je n'ai point Г dire ici sous l'empire de quelles idГ©es littГ©raires j'ai Г©crit ce roman, puisqu'il est accompagnГ© d'une prГ©face qui rГ©sume mes opinions d'alors, et que ces opinions n'ont pas changГ©. Mais je tiens Г bien dire ce que j'ai seulement indiquГ© dans cette prГ©face Г l'Г©gard des productions contemporaines dont j'ai critiquГ© la forme et rejetГ© l'exemple.
Ce n'est point par fausse modestie, encore moins par pusillanimité de caractère, que je déclare aimer beaucoup les événements romanesques, l'imprévu, l'intrigue, l'action dans le roman. Pour le roman comme pour le théâtre, je voudrais que l'on trouvât le moyen d'allier le mouvement dramatique à l'analyse vraie des caractères et des sentiments humains. Sans vouloir faire ici la critique ni l'éloge de personne, je dis que ce problème n'est encore résolu d'une manière générale et absolue, ni pour le roman, ni pour le théâtre. Depuis vingt ans, on flotte entre les deux extrêmes, et, pour ma part, aimant les émotions fortes dans la fiction, j'ai marché cependant dans l'extrême opposé, non point tant par goût que par conscience, parce que je voyais ce côté négligé et abandonné par la mode. J'ai fait tous mes efforts, sans m'exagérer leur faiblesse ni leur importance, pour retenir la littérature de mon temps dans un chemin praticable entre le lac paisible et le torrent fougueux. Mon instinct m'eût poussé vers les abîmes, je le sens encore à l'intérêt et à l'avidité irréfléchie avec lesquels mes yeux et mes oreilles cherchent le drame; mais quand je me retrouve avec ma pensée apaisée et rassasiée, je fais comme tous les lecteurs, comme tous les spectateurs, je reviens sur ce que j'ai vu et entendu, et je me demande le pourquoi et le comment de l'action qui m'a ému et emporté. Je m'aperçois alors des brusques invraisemblances ou des mauvaises raisons de ces faits que le torrent de l'imagination a poussés devant lui, au mépris des obstacles de la raison ou de la vérité morale, et de là le mouvement rétrograde qui me repousse, comme tant d'autres, vers le lac uni et monotone de l'analyse.
Pourtant, je ne voudrais pas voir la gГ©nГ©ration Г laquelle j'appartiens s'oublier trop longtemps sur ces eaux dormantes et mГ©connaГ®tre le progrГЁs qui l'appelle sans cesse vers des horizons nouveaux. Lucrezia Floriani, ce livre tout d'analyse et de mГ©ditation, n'est donc qu'une protestation relative contre l'abus de ces formes Г la mode d'alors, vГ©ritables machines Г surprises, dont il me semblait voir le public confondre avec peu de discernement les qualitГ©s et les dГ©fauts.
Dirai-je maintenant un mot sur mon Е“uvre mГЄme, non pas quant Г la forme, qui a tous les dГ©fauts (acceptГ©s d'avance) que mon plan comportait, mais quant au fond, cette inaliГ©nable question de libertГ© intellectuelle que chaque lecteur s'est toujours arrogГ© et s'arrogera toujours le droit de contester? Je ne demande pas mieux. Victor Hugo, dГ©niant au public, dans la prГ©face des Orientales, le droit d'adresser au poГ«te son insolent pourquoi, et dГ©crГ©tant qu'en fait de choix dans le sujet, l'auteur ne relevait que de lui-mГЄme, avait certainement raison devant la puissance surhumaine qui envoie au poГ«te l'inspiration, sans consulter le goГ»t, les habitudes ou les opinions du siГЁcle. Mais le public ne se rend pas Г de si hautes considГ©rations; il va son train, et continue Г dire aux grands comme aux petits: Pourquoi nous servez-vous ce mets? De quoi se compose-t-il? OГ№ l'avez-vous pris? Avec quoi est-il assaisonnГ©? etc., etc.
De telles questions sont assez oiseuses, et surtout elles sont embarrassantes; car cet instinct qui porte un Г©crivain Г choisir aujourd'hui tel ou tel sujet qui ne l'eГ»t peut-ГЄtre pas frappГ© hier, est insaisissable de sa nature. Et si l'on y rГ©pondait ingГ©nument, le public serait-il beaucoup plus avancГ©?
Si je vous disais, par exemple, ce qu'un trГЁs-grand poГ«te me disait un jour, s