CГ©sarine Dietrich
Жорж Санд
George Sand
CГ©sarine Dietrich
I
J'avais trente-cinq ans, CГ©sarine Dietrich en avait quinze et venait de perdre sa mГЁre, quand je me rГ©signai Г devenir son institutrice et sa gouvernante.
Comme ce n'est pas mon histoire que je compte raconter ici, je ne m'arrГЄterai pas sur les rГ©pugnances que j'eus Г vaincre pour entrer, moi fille noble et destinГ©e Г une existence aisГ©e, chez une famille de bourgeois enrichis dans les affaires. Quelques mots suffiront pour dire ma situation et le motif qui me dГ©termina bientГґt Г sacrifier ma libertГ©.
Fille du comte de Nermont et restГ©e orpheline avec ma jeune soeur, je fus dГ©pouillГ©e par un prГ©tendu ami de mon pГЁre qui s'Г©tait chargГ© de placer avantageusement notre capital, et qui le fit frauduleusement disparaГ®tre. Nous Г©tions ruinГ©es; il nous restait Г peine le nГ©cessaire, je m'en contentai. J'Г©tais laide, et personne ne m'avait aimГ©e. Je ne devais pas songer au mariage; mais ma soeur Г©tait jolie; elle fut recherchГ©e et Г©pousГ©e par le docteur Gilbert, mГ©decin estimГ©, dont elle eut un fils, mon filleul bien-aimГ©, qui fut nommГ© Paul; je m'appelle Pauline.
Mon beau-frГЁre et ma pauvre soeur moururent jeunes Г quelques annГ©es d'intervalle, laissant bien peu de ressources au cher enfant, alors au collГЁge. Je vis que tout serait absorbГ© par les frais de son Г©ducation, et que ses premiers pas dans la vie sociale seraient entravГ©s par la misГЁre; c'est alors que je pris le parti d'augmenter mes faibles ressources par le travail rГ©tribuГ©. Dans une vie de cГ©libat et de recueillement, j'avais acquis quelques talents et une assez solide instruction. Des amis de ma famille, qui m'Г©taient restГ©s dГ©vouГ©s, s'employГЁrent pour moi. Ils nГ©gociГЁrent avec la famille Dietrich, oГ№ j'entrai avec des appointements trГЁs-honorables.
Je me hГўte de dire que je n'eus point Г regretter ma rГ©solution; je trouvai chez ces Allemands fixГ©s Г Paris une hospitalitГ© cordiale, des Г©gards, un grand savoir-vivre, une vГ©ritable affection. Ils Г©taient deux frГЁres associГ©s, Hermann et Karl. Leur fortune se comptait dГ©jГ par millions, sans que leur honorabilitГ© eГ»t jamais pu ГЄtre mise en doute. Une soeur aГ®nГ©e s'Г©tait retirГ©e chez eux et gouvernait la maison avec beaucoup d'ordre, d'entrain et de douceur; elle Г©tait Г tous autres Г©gards assez nulle, mais elle recevait avec politesse et discrГ©tion, ne parlant guГЁre et agissant beaucoup, toujours en vue du bien-ГЄtre de ses hГґtes.
M.В Dietrich aГ®nГ©, le pГЁre de CГ©sarine, Г©tait un homme actif, Г©nergique, habile et obstinГ©. Son irrГ©prochable probitГ© et son succГЁs soutenu lui donnaient un peu d'orgueil et une certaine duretГ© apparente avec les autres hommes. Il se souciait plus d'ГЄtre estimГ© et respectГ© que d'ГЄtre aimГ©; mais avec sa fille, sa soeur et avec moi il fut toujours d'une bontГ© parfaite et mГЄme dГ©licate et courtoise.
Je me trouvai donc aussi heureuse que possible dans ma nouvelle condition, j'y fus apprГ©ciГ©e, et je pus envisager avec une certaine sГ©curitГ© l'avenir de mon filleul.
L'hГґtel Dietrich Г©tait une des plus belles villas du nouveau Paris, dans le voisinage du bois de Boulogne et dans un retrait de jardins assez bien choisi pour qu'on n'y fГ»t pas incommodГ© par la poussiГЁre et le bruit des chevaux et des voitures. Au milieu d'une population affolГ©e de luxe et de mouvement, on trouvait l'ombre, la solitude et un silence relatif derriГЁre les grilles et les massifs de verdure de notre petit parc. Ce n'Г©tait certes pas la campagne, et il Г©tait difficile d'oublier qu'on n'y Г©tait pas; mais c'Г©tait comme un boudoir mystГ©rieux, sГ©parГ© du tumulte par un rideau de feuilles et de fleurs.
La défunte madame Dietrich avait aimé le monde, elle avait beaucoup reçu, donné de beaux dîners, et des bals dont parlaient encore les gens de la maison quand je m'y installai. À présent l'on était en deuil, et il n'était pas à présumer que M. Dietrich reprit jamais le brillant train de vie que sa femme avait mené. Il av