La Renaissance Italienne et la Philosophie de l'Histoire
Emile Gebhart
Emile Gebhart
La Renaissance Italienne et la Philosophie de l'Histoire
AVANT-PROPOS
Les lecteurs qui voudront bien feuilleter ce recueil, selon l'ancienne mГ©thode, en commenГ§ant par les premiГЁres pages, comprendront pourquoi deux figures aussi peu semblables l'une Г l'autre, Machiavel et FrГ Salimbene, s'y rencontrent tout d'abord, Г la suite de la thГ©orie de Burckhardt sur la В«Civilisation de la Renaissance en ItalieВ». Le trait dominant, pour ne pas dire la cause principale de la Renaissance italienne Г©tant la personnalitГ© individuelle dГ©veloppГ©e parfois Г l'excГЁs, mais d'autant plus forte que les circonstances extГ©rieures semblaient plus propres Г l'opprimer ou Г l'altГ©rer, on verra comment le grand historien, aux heures les plus tristes de sa vie, est demeurГ© obstinГ©ment attachГ© Г la vГ©ritГ© politique qu'il avait embrassГ©e pour le bien de l'Italie, et comment l'inflexible conscience du diplomate a sauvГ© en lui l'honnГЄtetГ© de l'homme que la ruine de sa fortune pouvait pousser Г se dГ©mentir et Г mentir. L'admirable libertГ© d'esprit qui est Г l'origine de ce dГ©veloppement de la personnalitГ© prГ©existait Г la Renaissance; elle rend compte du mouvement religieux de la PГ©ninsule dГЁs le XIIIe siГЁcle, car c'est dans la chrГ©tientГ© italienne plus encore que dans la commune italienne qu'elle s'est surtout manifestГ©e au moyen Гўge; le bon frГЁre Salimbene, un joyeux reprГ©sentant de la seconde gГ©nГ©ration franciscaine, exprime cet Г©tat original de l'esprit de sa race d'une faГ§on si vive, qu'il est vГ©ritablement comme un prГ©curseur de la Renaissance; je n'ai donc point hГ©sitГ© Г le prГ©senter de nouveau, dans la familiaritГ© de son personnage, tel que je l'ai produit, il y a quelques annГ©es, devant un cercle intime d'amis indulgents.
Les morceaux historiques qui sont Г la fin du volume sont comme une application des consГ©quences morales et sociales de la Renaissance, que j'ai tentГ© de dГ©duire des vues philosophiques de Burckhardt. L'esprit d'individualitГ©, qui fut longtemps la vie de la civilisation italienne, n'avait point adouci les mЕ“urs, soit publiques, soit privГ©es. Le tyran italien du XVe siГЁcle, dont la valeur personnelle fut portГ©e au suprГЄme degrГ©, garda toute la brutalitГ© fГ©odale, aggravГ©e encore par la mГ©fiance, la peur incessante, la pratique de la fourberie, l'insolence d'un pouvoir sans contrГґle. La Renaissance s'arrГЄta en mГЄme temps que tomba la libertГ©; il n'y eut plus de tyrans, quand les provinces autonomes disparurent; mais il resta une sociГ©tГ© habituГ©e Г la violence, Г la duretГ© des mЕ“urs domestiques, au jeu des passions dГ©pourvues de tout scrupule. La famille des Cenci n'est pas belle Г voir de prГЁs; mais le tableau en est restituГ© d'aprГЁs des textes sГ»rs, notamment d'aprГЁs les piГЁces de l'horrible procГЁs, et je demande d'avance pardon pour cette tragique rГ©alitГ© aux personnes sensibles qui aimaient tendrement BГ©atrice Cenci. Quant au chapitre oГ№ les juifs, les musulmans esclaves et les bonnes gens de Rome apparaissent dans la vГ©ritГ© lamentable de leur condition, du XVIe au XVIIIe siГЁcle, je n'ai fait qu'y traduire, sans y ajouter un seul trait, les documents qui abondent sur ce curieux sujet, Г l'Archivio de la province de Rome, au Fanfulla della domenica, Г la Rassegna Settimanale, dans l'ouvrage de M. Silvagni, La Corte e la societГ romana, qui est Г©crit en partie d'aprГЁs les mГ©moires de l'abbГ© Benedetti.
Restent deux Г©tudes, l'une sur Cervantes et le Don Quichotte, l'autre sur notre La Fontaine. Cervantes et La Fontaine ne s'expliquent complГЁtement que par le gГ©nie de la Renaissance, telle que l'Italie l'avait entendue. L'ironie transcendante de Cervantes procГЁde de l'ironie de Pulci et de l'Arioste, qu'elle dГ©passe, il est vrai, par l'invention symbolique et l'ГўpretГ© du rГ©alisme espagnol. Cervantes s'est dГ©gagГ©, comme l'avaient fait l'Arioste et tous les poГЁtes chevaleresques de l'Italie, de la fascination du moyen Гўge