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AndrГ©

Жорж Санд

George Sand

AndrГ©

NOTICE

C'est Г  Venise que j'ai rГЄvГ© et Г©crit ce roman. J'habitais une petite maison basse, le long d'une Г©troite rue d'eau verte, et pourtant limpide, tout Г  cГґtГ© du petit pont dei Barcaroli. Je ne voyais, je ne connaissais, je ne voulais voir et connaГ®tre quasi personne. J'Г©crivais beaucoup, j'avais de longs et paisibles loisirs, je venais d'Г©crire Jacques dans cette mГЄme petite maison. J'en Г©tais attristГ©e. J'avais dessein de fixer ma vie alternativement en France et Г  Venise. Si mes enfants eussent Г©tГ© en Гўge de me suivre Г  Venise, je crois que j'y eusse fait un Г©tablissement dГ©finitif, car, nulle part, je n'avais trouvГ© une vie aussi calme, aussi studieuse, aussi complГ©tement ignorГ©e. Et cependant, aprГЁs six mois de cette vie, je commenГ§ais Г  ressentir une sorte de nostalgie dont je ne voulais pas convenir avec moi-mГЄme.

Cette nostalgie se traduisit pour moi par le roman d'AndrГ©. J'avais de temps en temps, pour restaurer mes nippes, une jeune ouvriГЁre, grande, blonde, Г©lГ©gante, babillarde, qui s'appelait Loredana. Ma gouvernante Г©tait petite, rondelette, pГўle, langoureuse, et tout aussi babillarde que l'autre, quoiqu'elle eГ»t le parler plus lent. Je n'Г©tais pas somptueusement logГ©e, tant s'en faut. Leurs longues causeries dans la chambre voisine de la mienne me dГ©rangГЁrent donc beaucoup: mais je finissais par les Г©couter machinalement et puis alternativement, pour m'exercer Г  comprendre leur dialecte dont mon oreille s'habituait Г  saisir les rapides Г©lisions. Peu Г  peu je les Г©coutais aussi pour surprendre dans leurs commГ©rages, non pas les secrets des familles vГ©nitiennes qui m'intГ©ressaient fort peu, mais la couleur des moeurs intimes de cette citГ©, qui n'est pareille Г  aucune autre, et oГ№ il semble que tout dans les habitudes, dans les goГ»ts et dans les passions, doive essentiellement diffГ©rer de ce qu'on voit ailleurs. Quelle fut ma surprise, lorsque mon oreille fut blasГ©e sur le premier Г©tonnement des formes du langage, d'entendre des histoires, des rГ©flexions et des apprГ©ciations identiquement semblables Г  ce que j'avais entendu dans une ville de nos provinces franГ§aises. Je me crus Г  La ChГўtre! Les dames du lieu, ces belles et molles patriciennes qui fleurissent comme des camГ©lias en serre dans l'air tiГЁde des lagunes, elles avaient, en passant par la langue si bien pendue de la Loredana, les mГЄmes vanitГ©s, les mГЄmes grГўces, les mГЄmes forces, les mГЄmes faiblesses que les fiГЁres et paresseuses bourgeoises de nos petites villes. Chez les hommes, c'Г©tait mГЄme bonhomie, mГЄme parcimonie, mГЄme finesse, mГЄme libertinage. Le monde des ouvriers, des artisans, de leurs filles et de leurs femmes, c'Г©tait encore comme chez nous, et je m'Г©criai du mot proverbial: Tutto il mondo ГЁ fatto come la nostra famiglia.

ReportГ©e Г  mon pays, Г  ma province, Г  la petite ville oГ№ j'avais vГ©cu, je me sentis en disposition d'en peindre les types et les moeurs, et on sait que quand une fantaisie vient Г  l'artiste, il faut qu'il la contente. Nulle autre ne peut l'en distraire. C'est donc au sein de la belle Venise, au bruit des eaux tranquilles que soulГЁve la rame, au son des guitares errantes, et en face des palais fГ©eriques qui partout projettent leur ombre sur les canaux les plus Г©troits et les moins frГ©quentГ©s, que je me rappelai les rues sales et noires, les maisons dГ©jetГ©es, les pauvres toits moussus, et les aigres concerts de coqs, d'enfants et de chats de ma petite ville. Je rГЄvai lГ  aussi de nos belles prairies, de nos foins parfumГ©s, de nos petites eaux courantes et de la botanique aimГ©e autrefois, que je ne pouvais plus observer que sur les mousses limoneuses et les algues flottantes accrochГ©es au flanc des gondoles. Je ne sais dans quels vagues souvenirs de types divers je fis mouvoir la moins compliquГ©e et la plus paresseuse des fictions. Ces types Г©taient tout aussi vГ©nitiens que berrichons. Changez l'habit, la langue, le ciel, le paysage, l'architecture, la physionomie extГ©rie