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L'Uscoque

Жорж Санд

George Sand

L'Uscoque

В«Je crois, LГ©lio, dit Beppa, que nous avons endormi le digne Asseim Zuzuf.

– Toutes nos histoires l'ennuient, dit l'abbé. C'est un homme trop grave pour s'intéresser à des sujets aussi frivoles.

– Pardonnez-moi, répondit le sage Zuzuf. Dans mon pays, on aime les contes avec passion; dans nos cafés, nous avons nos conteurs comme ici vous avez vos improvisateurs. Leurs récits sont tour à tour en prose et en vers. J'ai vu le poëte anglais les écouter des soirées entières.

– Quel poëte anglais? demandai-je.

– Celui qui a fait la guerre avec les Grecs, et qui a fait passer dans les langues d'Europe l'histoire de Phrosine et plusieurs autres traditions orientales, dit Zuzuf.

– Je parie qu'il ne sait pas le nom de lord Byron! s'écria Beppa.

– Je le sais fort bien, répondit Zuzuf. Si j'hésite à le prononcer, c'est que je n'ai jamais pu le dire devant lui sans le faire sourire. Il paraît que je le prononce très-mal.

– Devant lui! m'écriai-je; vous l'avez donc connu?

– Beaucoup, à Athènes principalement. C'est là que je lui ai raconté l'histoire de l'Uscoque>, qu'il a écrite en anglais sous le titre du Corsaire et de Lara.

– Comment, mon cher Zuzuf, dit Lélio, c'est vous qui êtes l'auteur des poëmes de lord Byron?

– Non, répondit le Corcyriote sans se dérider le moins du monde à cette plaisanterie, car il a tout à fait changé cette histoire, dont au reste je ne suis pas l'auteur, puisque c'est une histoire véritable.

– Eh bien! vous allez la raconter, dit Beppa.

– Mais vous devez la savoir, répondit-il, car c'est plutôt une histoire vénitienne qu'un conte oriental.

– J'ai ouï dire, reprit Beppa, qu'il avait pris le sujet de Lara dans l'assassinat du comte Ezzelino, qui fut tué de nuit, au traguet de San-Miniato, par une espèce de renégat, du temps des guerres de Morée.

– Ce n'est donc pas le même, dit Lélio, que ce célèbre et farouche Ezzelin…

– Qui peut savoir, dit l'abbé, quel est cet Ezzelin, et surtout ce Conrad? Pourquoi chercher une réalité historique au fond de ces belles fictions de la poésie? Ne serait-ce pas les déflorer? Si quelque chose pouvait affaiblir mon culte pour lord Byron, ce seraient les notes historico-philosophiques dont il a cru devoir appuyer la vraisemblance de ses poëmes. Heureusement personne ne lui demande plus compte de ses sublimes fantaisies, et nous savons que le personnage le plus historique de ses épopées lyriques, c'est lui-même. Grâce à Dieu et à son génie, il s'est peint dans ces grandes figures. Et quel autre modèle eût pu poser pour un tel peintre?

– Cependant, repris-je, j'aimerais à retrouver, dans quelque coin obscur et oublié, les matériaux dont il s'est servi pour bâtir ses grands édifices. Plus ils seraient simples et grossiers, plus j'admirerais le parti qu'il en a su tirer. De même que j'aimerais à rencontrer les femmes qui servirent de modèle aux vierges de Raphaël.

– Si vous êtes curieux de savoir quel est le premier corsaire que Byron ait songé à célébrer sous le nom de Conrad et de Lara, je pense, dit l'abbé, qu'il nous sera facile de le retrouver; car je sais une histoire qui a des rapports frappants avec les aventures de ces deux poëmes. C'est probablement la même, cher Asseim, que vous racontâtes au poëte anglais, lorsque vous fîtes amitié avec lui à Athènes?

– Ce doit être la même, répondit Zuzuf. Or, si vous la savez, racontez-la vous-même; vous vous en tirerez mieux que moi.

– Je ne le pense pas, dit l'abbé. J'en ai oublié la meilleure partie, ou, pour mieux dire, je ne l'ai jamais bien sue.

– Nous la raconterons donc à nous deux, dit Zuzuf. Vous m'aiderez pour la partie qui s'est passée à Venise, et moi, de mon côté, pour celle qui s'est passée en Grèce.»

La proposition fut acceptГ©e, et les deux amis, prenant alternativement la parole, se disputant parfois sur des noms propres, sur d