Le Capitaine Aréna — Tome 2
Alexandre Dumas
Alexandre Dumas
Le Capitaine Aréna — Tome 2
CHAPITRE X.
LE PROPHГ€TE
En arrivant Г bord nous trouvГўmes le pilote assis, selon son habitude, au gouvernail, quoique le bГўtiment fГ»t Г l'ancre, et que par consГ©quent il n'eГ»t rien Г faire Г cette place. Au bruit que nous fГ®mes en remontant Г bord, il Г©leva sa tГЄte au-dessus de la cabine et fit signe au capitaine qu'il avait quelque chose Г lui dire. Le capitaine, qui partageait la dГ©fГ©rence que chacun avait pour Nunzio, passa aussitГґt Г l'arriГЁre. La confГ©rence dura dix minutes Г peu prГЁs; pendant ce temps les matelots de leur cГґtГ© s'Г©taient entre eux et formaient un groupe qui paraissait assez prГ©occupГ©; nous crГ»mes qu'il Г©tait question de l'aventure de Scylla, et nous ne fГ®mes pas autrement attention Г ces symptГґmes d'inquiГ©tude.
Au bout de ces dix minutes le capitaine reparut et vint droit Г nous.
— Est-ce que leurs excellences tiennent toujours à partir demain? nous demandat-il.
— Mais, oui, si la chose est possible, répondis-je.
— C'est que le vieux dit que le temps va changer, et que nous aurons le vent contraire pour sortir du détroit.
— Diable! fis-je, est-ce qu'il en est bien sûr?
— Oh! dit Pietro, qui s'était approché de nous avec tout l'équipage, si le vieux l'a dit, dame! c'est l'Évangile. L'a-t-il dit, capitaine?
— Il l'a dit, répondit gravement celui auquel la question était adressée.
— Ah! nous avions bien va qu'il y avait quelque chose sous jeu; il avait la mine toute gendarmée: n'est-ce pas, les autres?
Tout l'Г©quipage fit un signe de tГЄte qui indiquait que, comme Pietro, chacun avait remarquГ© la prГ©occupation du vieux prophГЁte.
— Mais, demandai-je, est-ce que lorsque ce vent souffle il a l'habitude de souffler longtemps?
— Dame! dit! le capitaine, huit jours, dix jours; quelquefois plus, quelquefois moins.
— Et alors on ne peut pas sortir du détroit?
— C'est impossible.
— Vers quelle heure le vent soufflera-t-il?
— Eh! vieux! dit le capitaine.
— Présent, dit Nunzio eu se levant derrière sa cabine.
— Pour quelle heure le vent?
Nunzio se retourna, consulta jusqu'au plus petit nuage du ciel; puis se retournant de notre cГґtГ©:
— Capitaine, dit-il, ce sera pour ce soir, entre huit et neuf heures, un instant après que le soleil sera couché.
— Ce sera entre huit et neuf heures, répéta le capitaine avec la même assurance que si c'eût été Matthieu Lænsberg ou Nostradamus qui lui eût adressé la réponse qu'il nous transmettait.
— Mais, en ce cas, demandai-je, au capitaine, ne pourrait-on sortir tout de suite? nous nous trouverions alors en pleine mer; et, pourvu que nous arrivions à gagner le Pizzo, c'est tout ce que je demande.
— Si vous le voulez absolument, répondit directement le pilote, on tâchera.
— Eh bien, tâchez-donc alors.
— Allons, allons, dit le capitaine: on part! Chacun à son poste. En un instant, et sans faire une seule observation, tout le monde fut à la besogne; l'ancre fut levée, et le bâtiment, tournant lentement son beaupré vers le cap Pelore, commença de se mouvoir sous l'effort de quatre avirons: quant aux voiles, il n'y fallait pas songer, pas un souffle de vent ne traversait.
Cependant il Г©tait Г©vident que, quoique notre Г©quipage eГ»t obГ©i sans rГ©plique Г l'ordre donnГ©, c'Г©tait Г contre-cЕ“ur qu'il se mettait en route; mais, comme cette espГЁce de nonchalance pouvait bien venir aussi du regret que chacun avait de s'Г©loigner de sa femme ou de sa maГ®tresse, nous n'y fГ®mes pas grande attention, et nous continuГўmes d'espГ©rer que Nunzio mentirait cette fois Г son infaillibilitГ© ordinaire.
Vers les quatre heures, nos matelots, qui peu Г peu, et tout en dissimulant cette intention, s'Г©taient rapprochГ©s des cГґtes de Sicile, se trouvГЁrent Г un demi-quart de lieue Г peu prГЁs du village de La Pace; alors femmes et enfants sortirent et com