Ceci n'est pas un conte
Denis Diderot
Denis Diderot
Ceci n'est pas un conte
Ce conte se trouve dans la Correspondance de Grimm, sous la date d'avril 1773; mais il y est incomplet. Il y manque l'histoire de TaniГ© et de la Reymer, et la fin de l'histoire de M
de La Chaux.
M. A. – A. Barbier (Dictionnaire des Anonymes) a supposé que Diderot, en attribuant à M
de La Chaux la traduction des В«premiers essais de la mГ©taphysique, de Hume (ci-aprГЁs p. 321 (#litres_trial_promo))В» et des Essais sur l'entendement humain (p. 328 (#litres_trial_promo)), avait Г©tГ© trompГ© par sa mГ©moire. Il n'en est rien. Diderot a seulement, comme toujours, donnГ© Г l'ouvrage de Hume, traduit par M
de La Chaux, un titre trop gГ©nГ©ral. Il s'agit ici des Political discourses, formant la deuxiГЁme partie des Essays. La premiГЁre traduction de cette partie (Essais sur le commerce, le luxe, l'argent, Amsterdam, 1752, 1753, in-12; Paris et Lyon, in-12) est bien de M
de La Chaux. Elle contient seulement sept des seize discours de Hume, avec des rГ©flexions du traducteur. L'abbГ© Le Blanc et ensuite Mauvillon ne publiГЁrent leurs travaux sur le mГЄme ouvrage qu'en 1754. La traduction de M
de La Chaux des Essais Г©conomiques de Hume a pris place dans le tome XV de la Collection des principaux Г©conomistes. M
de La Chaux mourut en 1755.
CECI N'EST PAS UN CONTE
Lorsqu'on fait un conte, c'est Г quelqu'un qui l'Г©coute; et pour peu que le conte dure, il est rare que le conteur ne soit pas interrompu quelquefois par son auditeur. VoilГ pourquoi j'ai introduit dans le rГ©cit qu'on va lire, et qui n'est pas un conte, ou qui est un mauvais conte, si vous vous en doutez, un personnage qui fasse Г peu prГЁs le rГґle du lecteur; et je commence.
Et vous concluez de lГ ?
– Qu'un sujet aussi intéressant devait mettre nos têtes en l'air; défrayer pendant un mois tous les cercles de la ville; y être tourné et retourné jusqu'à l'insipidité: fournir à mille disputes, à vingt brochures au moins, et à quelques centaines de pièces de vers pour ou contre; et qu'en dépit de toute la finesse, de toutes les connaissances, de tout l'esprit de l'auteur, puisque son ouvrage n'a excité aucune fermentation violente, il est médiocre, et très-médiocre.
– Mais il me semble que nous lui devons pourtant une soirée assez agréable, et que cette lecture a amené…
– Quoi! une litanie d'historiettes usées qu'on se décochait de part et d'autre, et qui ne disaient qu'une chose connue de toute éternité, c'est que l'homme et la femme sont deux bêtes très-malfaisantes.
– Cependant l'épidémie vous a gagné, et vous avez payé votre écot tout comme un autre.
– C'est que bon gré, mal gré qu'on en ait, on se prête au ton donné; qu'en entrant dans une société, d'usage, on arrange à la porte d'un appartement jusqu'à sa physionomie sur celles qu'on voit; qu'on contrefait le plaisant, quand on est triste; le triste, quand on serait tenté d'être plaisant; qu'on ne veut être étranger à quoi que ce soit; que le littérateur politique; que le politique métaphysique; que le métaphysicien moralise; que le moraliste parle finance; le financier, belles-lettres ou géométrie; que, plutôt que d'écouter ou se taire, chacun bavarde de ce qu'il ignore, et que tous s'ennuient par sotte vanité ou par politesse.
– Vous avez de l'humeur.
– À mon ordinaire.
– Et je crois qu'il est à propos que je réserve mon historiette pour un moment plus favorable.
– C'est-à -dire que vous attendrez que je n'y sois pas.
– Ce n'est pas cela.
– Ou que vous craignez que je n'aie moins d'indulgence pour vous, tête à tête, que je n'en aurais pour un indifférent en société.
– Ce n'est pas cela.
– Ayez donc pour agréable de me dire ce que c'est.
– C'est que mon historiette ne prouve pas plus que celles qui vous ont excédé.
– Hé! dites toujours.
– Non, non; vous en avez assez.
– Savez-vous que de toutes les manières qu'ils ont de me faire enrager, la vôtre m'est la plus antipathique?
– Et