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La fille du capitaine

Aleksandr Sergeevich Pushkin

Aleksandr Sergeevich Pushkin

La fille du capitaine

AVERTISSEMENT DES Г‰DITEURS

La nouvelle que nous publions est considГ©rГ©e en Russie comme le meilleur ouvrage en prose du poГЁte Pouschkine. Elle peut soutenir la comparaison avec les rГ©cits les plus attachants de Nicolas Gogol.

Alexandre Pouschkine, nГ© Г  Saint-PГ©tersbourg en 1799, est mort en 1837, dans toute la force de son talent. Ses premiers Г©crits l'ayant rendu suspect, il fut envoyГ© dans les provinces Г©loignГ©es de l'empire, oГ№ il remplit diverses fonctions administratives. L'empereur Nicolas, Г  son avГЁnement en 1825, le rappela dans la capitale, et le nomma historiographe. Ses ouvrages les plus connus sont le Prisonnier du Caucase et une composition dramatique qui n'a jamais Г©tГ© reprГ©sentГ©e, et n'Г©tait pas destinГ©e Г  l'ГЄtre, Boris Godunov.

Ses autres poГЁmes sont Ruslan et Ludmil'a; les BohГ©miens, la Fontaine des pleurs et l'OnГ©ghine.

Ce poГЁte, si admirГ© de ses contemporains, n'Г©tait pas heureux: d'indignes propos rГ©pandus Г  dessein dans les salons de Saint-PГ©tersbourg, oГ№ l'on n'aimait pas sa fiГЁre et libre parole, amenГЁrent un duel dans lequel il fut blessГ© mortellement par son propre beau-frГЁre. Cette mort fut pleurГ©e par les Russes comme une calamitГ© publique.

I

LE SERGENT AUX GARDES

Mon père, André Pétrovitch Grineff, après avoir servi dans sa jeunesse sous le comte Munich[1 - Célèbre général de Pierre le Grand et de l'impératrice Anne.], avait quitté l'état militaire en 17.. avec le grade de premier major. Depuis ce temps, il avait constamment habité sa terre du gouvernement de Simbirsk, où il épousa Mlle Avdotia Ire, fille d'un pauvre gentilhomme du voisinage. Des neuf enfants issus de cette union, je survécus seul; tous mes frères et soeurs moururent en bas âge. J'avais été inscrit comme sergent dans le régiment Séménofski par la faveur du major de la garde, le prince B… notre proche parent. Je fus censé être en congé jusqu'à la fin de mon éducation. Alors on nous élevait autrement qu'aujourd'hui. Dès l'âge de cinq ans je fus confié au piqueur Savéliitch, que sa sobriété avait rendu digne de devenir mon menin. Grâce à ses soins, vers l'âge de douze ans je savais lire et écrire, et pouvais apprécier avec certitude les qualités d'un lévrier de chasse. À cette époque, pour achever de m'instruire, mon père prit à gages un Français, M. Beaupré, qu'on fit venir de Moscou avec la provision annuelle de vin et d'huile de Provence. Son arrivée déplut fort à Savéliitch. «Il semble, grâce à Dieu, murmurait-il, que l'enfant était lavé, peigné et nourri. Où avait-on besoin de dépenser de l'argent et de louer un moussié, comme s'il n'y avait pas assez de domestiques dans la maison?»

Beaupré, dans sa patrie, avait été coiffeur, puis soldat en Prusse, puis il était venu en Russie pour être outchitel, sans trop savoir la signification de ce mot[2 - Qui veut dire maître, pédagogue. Les instituteurs étrangers l'ont adopté pour nommer leur profession.]. C'était un bon garçon, mais étonnamment distrait et étourdi. Il n'était pas, suivant son expression, ennemi de la bouteille, c'est-à-dire, pour parler à la russe, qu'il aimait à boire. Mais, comme on ne présentait chez nous le vin qu'à table, et encore par petits verres, et que, de plus, dans ces occasions, on passait l'outchitel, mon Beaupré s'habitua bien vite à l'eau-de-vie russe, et finit même par la préférer à tous les vins de son pays, comme bien plus stomachique. Nous devînmes de grands amis, et quoique, d'après le contrat, il se fût engagé à m'apprendre le français, l'allemand et toutes les sciences, il aima mieux apprendre de moi à babiller le russe tant bien que mal. Chacun de nous s'occupait de ses affaires; notre amitié était inaltérable, et je ne désirais pas d'autre mentor. Mais le destin nous sépara bientôt, et ce fut à la suite d'un événement que je vais raconter.

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