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Le BlГ© qui lГЁve

RenГ© Bazin

RenГ© Bazin

Le BlГ© qui lГЁve

I

LA MARCHE DES BГ›CHERONS

Le soleil dГ©clinait. Le vent d'est mouillait la crГЄte des mottes, activait la moisissure des feuilles tombГ©es, et couvrait les troncs d'arbres, les baliveaux, les herbes sans jeunesse et molles depuis l'automne, d'un vernis rГ©sistant comme celui que les marГ©es soufflent sur les falaises. La mer Г©tait loin cependant, et le vent venait d'ailleurs. Il avait traversГ© les forГЄts du Morvan, pays de fontaines oГ№ il s'Г©tait trempГ©, celles de Montsauche et de Montreuillon, plus prГЁs encore celle de Blin; il courait vers d'autres massifs de l'immense rГ©serve qu'est la NiГЁvre, vers la grande forГЄt de TronГ§ay, les bois de Crux-la-Ville et ceux de Saint-Franchy. L'atmosphГЁre semblait pure, mais dans tous les lointains, au-dessus des taillis, Г  la lisiГЁre des coupes, dans le creux des sentiers, quelque chose de bleu dormait, comme une fumГ©e.

– Tu es sûr, Renard, que le chêne a cent soixante ans?

– Oui, monsieur le comte, il porte même son âge écrit sur son corps: voilà les huit traits rouges; je les ai faits moi-même, au moment du balivage.

– Eh! oui, tu l'as sauvé, et maintenant on veut que je le condamne à mort! Non, Renard, je ne peux pas! Cent soixante ans! Il a vu cinq générations de Meximieu…

– Ça fait tout de même le trente-deuxième bisancien qu'on épargne! A ces âges-là, en terre médiocre, comme chez nous, le chêne ne grossit plus, il ne fait que mûrir. Enfin, monsieur le comte est libre; il s'arrangera avec monsieur le marquis.

Le garde se tut. Sa figure rougeaude et rasée exprimait le dédain d'un sous-ordre qui fut omnipotent, pour l'administration qui lui a succédé. Il était debout, un peu en arrière, coiffé d'une cape de velours vert, au chaud et à l'aise dans un complet de velours de même nuance que la cape; ses mains, croisées sur son ventre, tenaient un carnet entr'ouvert: «État des arbres anciens du domaine de Fonteneilles», et ses jambes, trop grêles pour ce gros corps, lui donnaient l'air d'une marionnette allemande posée sur des crins. Il considérait le patron. Le patron souriait au chêne et lui disait tout bas: «Allons! mon bel ancien, te voilà sauvé; je reviendrai te voir, quand tes feuilles auront poussé.» L'arbre montait, effilé, élégant, laissant tomber l'ombre vivante de ses branches sur les taillis dévastés.

– Vois-tu, Renard, reprit Michel de Meximieu, qui suivait sa pensée, je les aime bien, mes arbres: ils ne me demandent rien, je les connais de longue date, je vois leur pointe de la fenêtre de ma chambre, ils sont des amis plus sûrs que ceux qui les abattent.

– Race de fainéants, les bûcherons, monsieur le comte, de bracos, de propres à rien, de…

– Non, mon ami, non! S'ils ne faisaient que tuer mon gibier, je leur pardonnerais volontiers. Tout ce que je veux dire, c'est que ce sont des âmes diminuées, comme tant d'autres.

– Parbleu! les braconniers ne gênent pas ceux qui ne chassent pas: mais moi, je chasse! dit Renard à demi-voix.

Son maГ®tre n'eut pas l'air d'entendre. Il tenait dans sa main gauche, pendante le long du corps, une hachette Г  marteau pour marquer les arbres. AprГЁs un instant, il remit l'instrument dans la gaine de cuir pendue Г  sa ceinture. Il considГ©rait maintenant le vaste chantier qu'il Г©tait venu inspecter, dix hectares de taillis presque entiГЁrement coupГ©, oГ№ les bГ»cherons travaillaient encore, chacun dans sa ligne balisГ©e, dans В«son atelierВ», parmi les stГЁres de bois empilГ© et les tas de ramille. A l'angle de cette coupe, vers l'est, une autre coupe s'amorГ§ait, et il y avait entre elles un dГ©troit sinueux, une gorge comme entre deux plaines.

– Allons! Renard, assez de cette vilaine besogne! Retourne au château! Tu diras à mon père que je reviendrai par le carrefour de Fonteneilles.

– Bien, monsieur le comte.

– Tu diras aussi à Baptiste d'atteler la victoria, pour conduire le général au train de