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La femme au collier de velours

Alexandre Dumas

Alexandre Dumas

La femme au collier de velours

CHAPITRE I

L'arsenal

Le 4 dГ©cembre 1846, mon bГўtiment Г©tant Г  l'ancre depuis la veille dans la baie de Tunis, je me rГ©veillai vers cinq heures du matin avec une de ces impressions de profonde mГ©lancolie qui font, pour tout un jour, l'Е“il humide et la poitrine gonflГ©e.

Cette impression venait d'un rГЄve.

Je sautai en bas de mon cadre, je passai un pantalon Г  pieds, je montai sur le pont, et je regardai en face et autour de moi.

J'espГ©rais que le merveilleux passage qui se dГ©roulait sous mes yeux allait distraire mon esprit de cette prГ©occupation, d'autant plus obstinГ©e qu'elle avait une cause moins rГ©elle.

J'avais devant moi, Г  une portГ©e de fusil, la jetГ©e qui s'Г©tendait du fort de la Goulette au fort de l'Arsenal, laissant un Г©troit passage aux bГўtiments qui veulent pГ©nГ©trer du golfe dans le lac. Ce lac, aux eaux bleues comme l'azur du ciel qu'elles rГ©flГ©chissaient, Г©tait tout agitГ©, dans certains endroits, par les battements d'ailes d'une troupe de cygnes, tandis que, sur des pieux plantГ©s de distance en distance pour indiquer des bas-fonds, se tenait immobile, pareil Г  ces oiseaux qu'on sculpte sur les sГ©pulcres, un cormoran qui, tout Г  coup, se laissait tomber Г  la surface de l'eau avec un poisson au travers du bec, avalait ce poisson, remontait sur son pieu, et reprenait sa taciturne immobilitГ© jusqu'Г  ce qu'un nouveau poisson, passant Г  sa portГ©e, sollicitГўt son appГ©tit, et, l'emportant sur sa paresse, le fit disparaГ®tre de nouveau pour reparaГ®tre encore.

Et pendant ce temps, de cinq minutes en cinq minutes, l'air Г©tait rayГ© par une file de flamants dont les ailes de pourpre se dГ©tachaient sur le blanc mat de leur plumage, et, formant un dessin carrГ©, semblaient un jeu de cartes composГ© d'as de carreau seulement, et volant sur une seule ligne.

À l'horizon était Tunis, c'est-à-dire un amas de maisons carrées, sans fenêtres, sans ouvertures, montant en amphithéâtre, blanches comme de la craie et se détachant sur le ciel avec une netteté singulière. À gauche s'élevaient, comme une immense muraille à créneaux, les montagnes de Plomb, dont le nom indique la teinte sombre; à leur pied rampaient le marabout et le village des Sidi-Fathallah; à droite on distinguait le tombeau de saint Louis et la place où fut Carthage, deux des plus grands souvenirs qu'il y ait dans l'histoire du monde. Derrière nous se balançait à l'ancre le Montézuma, magnifique frégate à vapeur de la force de quatre cent cinquante chevaux.

Certes, il y avait bien lГ  de quoi distraire l'imagination la plus prГ©occupГ©e. ГЂ la vue de toutes ces richesses, on eГ»t oubliГ© la veille, le jour et le lendemain. Mais mon esprit Г©tait, Г  dix ans de lГ , fixГ© obstinГ©ment sur une seule pensГ©e qu'un rГЄve avait clouГ©e dans mon cerveau.

Mon œil devint fixe. Tout ce splendide panorama s'effaça peu à peu dans la vacuité de mon regard. Bientôt je ne vis plus rien de ce qui existait. La réalité disparut; puis, au milieu de ce vide nuageux, comme sous la baguette d'une fée, se dessina un salon aux lambris blancs, dans l'enfoncement duquel, assise devant un piano où ses doigts erraient négligemment, se tenait une femme inspirée et pensive à la fois, une muse et une sainte. Je reconnus cette femme, et je murmurai comme si elle eût pu m'entendre:

– Je vous salue, Marie, pleine de grâces, mon esprit est avec vous.

Puis, n'essayant plus de rГ©sister Г  cet ange aux ailes blanches qui, me ramenant aux jours de ma jeunesse, et comme une vision charmante, me montrait cette chaste figure de jeune fille, de jeune femme et de mГЁre, je me laissai emporter au courant de ce fleuve qu'on appelle la mГ©moire, et qui remonte le passГ© au lieu de descendre vers l'avenir.

Alors je fus pris de ce sentiment si Г©goГЇste, et par consГ©quent si naturel Г  l'homme, qui le pousse Г  ne point garder sa pensГ©e Г  lui seul, Г  doubler l'Г©tendue de ses sensations en les communiquant, et Г  verser e