Le Capitaine Aréna — Tome 1
Alexandre Dumas
Alexandre Dumas
Le Capitaine Aréna — Tome 1
CHAPITRE PREMIER
LA MAISON DES FOUS
A neuf heures du matin le capitaine ArГ©na vint nous prГ©venir que notre bГўtiment Г©tait prГЄt et n'attendait plus que nous pour mettre Г la voile. Nous quittГўmes aussitГґt l'hГґtel, et nous nous rendГ®mes sur le port.
La veille, nous avions Г©tГ© visiter la maison des fous: qu'on nous permette de jeter un regard en arriГЁre sur ce magnifique Г©tablissement.
La Casa dei Matti jouit non-seulement d'une immense réputation en Sicile et en Italie, mais encore par tout le reste de l'Europe. Un seigneur sicilien qui avait visité plusieurs établissements de ce genre, révolté de la façon dont les malheureux malades y étaient traités, résolut de consacrer son palais, sa fortune et sa vie à la guérison des aliénés. Beaucoup de gens prétendirent que le baron Pisani était aussi fou que les autres, mais sa folie à lui était au moins une folie sublime.
Le baron Pisani Г©tait riche, il avait une magnifique villa, il Г©tait ГўgГ© de trente-cinq ans Г peine; il fit le sacrifice de sa jeunesse, de son palais, de sa fortune. Sa vie devint celle d'un garde-malade, son palais fut Г©changГ© contre un appartement de quatre ou cinq chambres, et de toute sa fortune il ne se rГ©serva que six mille livres de rente.
Ce fut lui-mГЄme qui voulut bien se charger de nous faire les honneurs de son Г©tablissement. Il avait choisi pour cette visite le dimanche, qui est un jour de fГЄte pour ses administrГ©s. Nous nous arrГЄtГўmes devant une maison de fort belle apparence, qui n'avait que ceci de particulier, que toutes les fenГЄtres en Г©taient grillГ©es, mais encore fallait-il ГЄtre prГ©venu pour s'en apercevoir. Ces grillages travaillГ©s et peints reprГ©sentaient, les uns des ceps de vignes chargГ©s de raisins, les autres des convolvuli aux longues feuilles et aux clochettes bleues; tout cela perdu dans des fleurs et des fruits naturels qu'au toucher seulement on pouvait distinguer des fleurs et des fruits peints.
La porte nous fut ouverte par un concierge en habit ordinaire; seulement au lieu de l'attirail obligГ© d'un gardien de fous, armГ© ordinairement d'un bГўton et ornГ© d'un trousseau de clefs, il avait un bouquet au cГґtГ© et une flГ»te Г la main. En entrant le baron Pisani lui demanda comment les choses allaient; il rГ©pondit que tout allait bien.
La premiГЁre personne que nous rencontrГўmes dans le corridor fut une espГЁce de commissionnaire qui portait une charge de bois. En apercevant M. Pisani, il vint Г lui, et, posant sa charge de bois Г terre, il lui prit en souriant sa main, qu'il baisa. Le baron lui demanda pourquoi il n'Г©tait pas dans le jardin Г s'amuser avec les autres; mais il lui rГ©pondit que, comme l'hiver approchait, il pensait qu'il n'avait pas de temps Г perdre pour descendre le bois du grenier Г la cave. Le baron l'encouragea dans cette bonne disposition, et le commissionnaire reprit ses fagots et continua sa route.
C'Г©tait un des propriГ©taires les plus riches de Castelveterano, qui, n'ayant jamais su s'occuper, Г©tait tombГ© dans une espГЁce de spleen qui l'avait conduit tout droit Г la folie. On l'avait alors amenГ© au baron Pisani, qui, l'ayant pris Г pari, lui avait expliquГ© qu'il avait Г©tГ© changГ© en nourrice, et que cette substitution ayant Г©tГ© reconnue, il serait dГ©sormais obligГ© de travailler pour vivre. Le fou n'en avait tenu aucun compte et s'Г©tait croisГ© les deux bras, attendant que ses domestiques lui vinssent, comme d'habitude, apporter son dГ®ner. Mais Г l'heure accoutumГ©e les domestiques n'Г©taient pas venus, la faim avait commencГ© de se faire sentir; nГ©anmoins, le CastelvГ©tГ©ranois avait tenu bon et avait passГ© la nuit Г appeler, Г crier, Г frapper le long des murs et Г rГ©clamer son dГ®ner: tout avait Г©tГ© inutile, les murs avaient fait les sourds, et le prisonnier Г©tait restГ© Г jeun.
Le matin, le gardien Г©tait entrГ© vers les neuf heures, et le fou lui avait demandГ© impГ©rieusement son dГ©jeuner. Le gardien lu