Les illusions musicales et la vГ©ritГ© sur l'expression
JohannГЁs Weber
Johannes Weber
Les illusions musicales et la vГ©ritГ© sur l'expression
PrГ©face de la deuxiГЁme Г©dition
La premiГЁre Г©dition de ce livre est Г©puisГ©e depuis plusieurs annГ©es. Les demandes continuelles qu'on en a faites m'ont engagГ© Г en publier une Г©dition nouvelle. Ce rГ©sultat prouve que, malgrГ© les tendances de l'Г©poque, il existe un nombre assez considГ©rable d'amateurs intelligents qui aiment Г traiter l'art musical sГ©rieusement, car c'est pour eux que j'avais Г©crit le volume.
J'ai fait Г mon ouvrage toutes les additions que je pensais utiles; j'ai ajoutГ© surtout deux chapitres tout Г fait nouveaux. Dans la premiГЁre Г©dition, j'avais dit quelques mots seulement de la musique religieuse (page 213); c'est une trop grande rГ©serve, que je n'ai pas gardГ©e cette fois-ci, et j'ai dit toute ma pensГ©e. J'ai refait aussi complГЁtement le dernier chapitre sur l'expression musicale; j'ai discutГ© de mon mieux et Г fond mon sujet tout en restant le plus clair possible. C'est maintenant Г mes yeux le chapitre le plus important et pour ainsi dire le couronnement du livre, dont prГЁs d'un tiers est nouveau, et dont le titre a dГ» ГЄtre modifiГ©.
M. Jules Ferry, quand il Г©tait au ministГЁre, a voulu prendre une mesure essentielle: c'est l'introduction de l'enseignement obligatoire de la musique vocale dans toutes les Г©coles primaires. Comme cet enseignement existe dans d'autres pays, il a Г©chouГ© contre l'obstination du conseil supГ©rieur de l'enseignement primaire qui n'a accordГ© Г la musique qu'un rГґle dГ©risoire. La France continuera donc Г rester en arriГЁre sur ce point, pour des prГ©textes qui, il va sans dire, ne soutiennent pas l'examen. L'Г©tat de l'art en subit les consГ©quences.
PREMIГ€RE PARTIE
I
LA MUSIQUE N'EST PAS UN ART CONVENTIONNEL
Berlioz, en tГЄte du dernier volume publiГ© avant sa mort, A travers chants, a reproduit un article qu'il avait Г©crit une vingtaine d'annГ©es auparavant. Il y dГ©finit la musique et cherche Г dГ©terminer quels hommes sont en Г©tat de la comprendre. В«Musique, dit-il, art d'Г©mouvoir par des combinaisons de sons les hommes intelligents et douГ©s d'organes spГ©ciaux et exercГ©s.В» Pour sentir la musique, il faut donc remplir trois conditions: il faut ГЄtre un homme intelligent, ce qui suppose que tous les hommes ne le sont pas, en exceptant mГЄme les idiots et les aliГ©nГ©s; il faut ensuite avoir des organes spГ©ciaux, et il faut que ces organes soient exercГ©s. Berlioz exclut mГЄme les hommes ayant appris la composition musicale, mais В«produisant des Е“uvres qui rГ©pondent en apparence aux idГ©es qu'on se fait vulgairement de la musique et satisfont l'oreille sans la charmer et sans rien dire au cЕ“ur ni Г l'imagination. Ces producteurs impuissants, ajoute-t-il, doivent encore ГЄtre rayГ©s du nombre des musiciens, ils ne sentent pas.В» On ne peut guГЁre s'Г©tonner de voir Berlioz terminer sa dissertation en traitant la musique des Orientaux comme n'Г©tant rien autre chose qu'un bruit grotesque analogue Г celui que font les enfants dans leurs jeux.
Berlioz s'est donnГ© de la peine, en pure perte, pour dГ©terminer quels sont les hommes qui sentent rГ©ellement la musique et quels sont ceux qui ne la sentent pas. Il serait bien difficile, sinon impossible, de dГ©finir oГ№ s'arrГЄte le simple plaisir que la musique donne Г В«l'oreilleВ» et oГ№ commence l'impression faite sur le В«cЕ“urВ». Quant Г l'imagination, la part qu'elle y prend ne prouve absolument rien; elle peut fort bien ГЄtre mise en jeu chez des personnes, des poГЁtes ou des peintres, par exemple, qui, pour tout le reste, sont Г peu prГЁs insensibles Г la musique. Berlioz dГ©crit les effets violents qu'elle produisait sur lui-mГЄme; mais il s'agirait de savoir quelle part la physiologie, et peut-ГЄtre la pathologie, peuvent y rГ©clamer, car tout le monde connaГ®t l'extrГЄme impressionnabilitГ© ou irritabilitГ© de l'auteur de l'Г‰pisode de la vie d'un artiste. Les gens qui ne goГ»taient point ses Е“uvres, ni mГЄme