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La fille du ciel

Judith Gautier

Pierre Loti

Judith Gautier

La fille du ciel Drame Chinois

AVANT-PROPOS

Pour bien comprendre la Chine, il faut savoir qu'elle porte au cЕ“ur depuis trois cents ans une plaie profonde et toujours saignante. Lorsque le pays fut conquis par les Tartares Mandchous, l'antique dynastie des Ming dut cГ©der le trГґne Г  celle des Tsin envahisseurs; mais la nation chinoise ne cessa ni de la regretter, ni d'attendre son retour. La rГ©volution est donc permanente en Chine; c'est un feu qui couve Г©ternellement, Г©clate en incendie dans quelque province, puis s'Г©teint pour se rallumer bientГґt dans une autre.

L'Empire Jaune est sans doute trop immense pour que les rГ©voltГ©s puissent s'entendre et, par un effort collectif, briser enfin le joug des Tartares. Plusieurs fois cependant, les Chinois de race furent tout prГЁs de la victoire. Ainsi, il y a une vingtaine d'annГ©es, des Г©vГ©nements que l'Europe n'a jamais bien connus, bouleversГЁrent la Chine. Les rГ©voltГ©s, victorieux pour un temps, proclamГЁrent Г  Nang-King un empereur de sang chinois et de la dynastie des Ming. Il s'appelait Ron-Tsin-TsГ©, ce qui signifie: la Floraison dГ©finitive, et sa pГ©riode fut nommГ©e par ses fidГЁles TaГЇ-Ping-Tien-Ko, ce qui signifie: l'Empire de la grande paix cГ©leste. Il rГ©gna dix-sept annГ©es, concurremment avec l'empereur tartare de PГ©kin, et Г  peine dans l'ombre.

Plus tard, on s'efforça de supprimer même son histoire; les livres qui la contaient furent confisqués et brûlés, et on défendit, sous peine de mort, de prononcer son nom.

Voici cependant la traduction du passage qui le concerne, dans le volumineux rapport adressГ© par le gГ©nГ©ral tartare Tsen-Kouan-WeГЇ Г  l'empereur de PГ©kin:

В«Quand les rГ©voltГ©s se soulevГЁrent dans la province de Kouang-Tong, dit-il, ils s'Г©taient emparГ©s de seize provinces et de six cents villes. Leur coupable chef et ses criminels amis Г©taient devenus formidables. Tous leurs gГ©nГ©raux se fortifiaient dans les places qu'ils avaient prises, et ce n'est qu'aprГЁs trois annГ©es de siГЁge que nous fГ»mes de nouveau maГ®tres de Nang-King. En ce moment, l'armГ©e rebelle comptait plus de cent mille hommes, mais pas un seul ne consentit Г  se rendre. DГЁs qu'ils se jugГЁrent perdus, ils mirent le feu au palais et se brГ»lГЁrent vifs. Beaucoup de femmes se pendirent, s'Г©tranglГЁrent ou se jetГЁrent dans les lacs des jardins. Je parvins cependant Г  faire prisonniГЁre une jeune fille et je la pressai de me dire oГ№ Г©tait leur empereur, В«Il est mort, rГ©pondit-elle; vaincu, il s'est empoisonnГ©; mais aussitГґt aprГЁs on a proclamГ© empereur son fils Hon-Fo-Tsen.В» Elle me conduisit ensuite Г  sa tombe, que je donnai l'ordre de briser; on y trouva en effet l'empereur, qu'enveloppait un linceul de soie jaune brodГ© de dragons. Il Г©tait vieux, chauve, avec une moustache blanche. Je fis brГ»ler son cadavre et jeter sa cendre au vent. Nos soldats dГ©truisirent tout ce qui restait dans les murs; il y eut trois jours et trois nuits de tueries et de pillages. Cependant une troupe de quelques milliers de rebelles, trГЁs bien armГ©s, rГ©ussit Г  s'Г©chapper de la ville, aprГЁs avoir revГЄtu les costumes de nos morts, et il est Г  craindre que leur nouvel empereur ait pu fuir avec eux.В»

Cet empereur Hon-Fo-Tsen, qui, en effet, avait pu s'enfuir de Nang-King, fut considГ©rГ© par les vrais Chinois comme le souverain lГ©gitime, et sa descendance, secrГЁtement, lui succГ©dera vraisemblablement sans interruption.

Il y a quelques années, un homme très remarquable, qui semblait incarner la Chine nouvelle, rêva une réconciliation pacifique et sincère entre les deux races ennemies. (Il avait bien d'autres rêves encore, comme par exemple celui de fonder les États-Unis du monde.) Il conçut le projet, presque irréalisable, de gagner à ses idées l'empereur de Pékin lui-même et, avec son concours, de réformer la Chine, sans verser de sang. Il s'appelait Kan-You-Wey. Pour se rapprocher de l'empereur, il ouvrit une école à Pékin en 1889.

Des rumeurs, mais combien