La dame de Monsoreau — Tome 2
Alexandre Dumas
Alexandre Dumas
La dame de Monsoreau — Tome 2
CHAPITRE PREMIER
COMMENT FRÈRE GORENFLOT SE RÉVEILLA, ET DE L'ACCUEIL QUI LUI FUT FAIT A SON COUVENT
Nous avons laissГ© notre ami Chicot en extase devant le sommeil non interrompu et devant le ronflement splendide de frГЁre Gorenflot; il fit signe Г l'aubergiste de se retirer et d'emporter la lumiГЁre, aprГЁs lui avoir recommandГ© sur toutes choses de ne pas dire un mot au digne frГЁre de la sortie qu'il avait faite Г dix heures du soir, et de la rentrГ©e qu'il venait de faire a trois heures du matin.
Comme maГ®tre Bonhomet avait remarquГ© une chose, c'est que dans les relations qui existaient entre le fou et le moine, c'Г©tait toujours le fou qui payait, il tenait le fou en grande considГ©ration, tandis qu'il n'avait au contraire qu'une vГ©nГ©ration fort mГ©diocre pour le moine. Il promit en consГ©quence Г Chicot de n'ouvrir en aucun cas la bouche sur les Г©vГ©nements de la nuit, et se retira, laissant les deux amis dans l'obscuritГ©, ainsi que la chose venait de lui ГЄtre recommandГ©e.
Bientôt Chicot s'aperçut d'une chose qui excita son admiration, c'est que frère Gorenflot ronflait et parlait en même temps. Ce qui indiquait, non pas, comme on pourrait le croire, une conscience bourrelée de remords, mais un estomac surchargé de nourriture.
Les paroles que prononçait Gorenflot dans son sommeil formaient, recousues les unes aux autres, un affreux mélange d'éloquence sacrée et de maximes bachiques.
Cependant Chicot s'aperçut que, s'il restait dans une obscurité complète, il aurait grand'peine à accomplir la restitution qui lui restait à faire pour que Gorenflot, à son réveil, ne se doutât de rien; en effet, il pouvait, dans les ténèbres, marcher imprudemment sur quelques-uns des quatre membres du moine, dont il ignorait les différentes directions, et, par la douleur, le tirer de sa léthargie.
Chicot souffla donc sur les charbons du brasier pour Г©clairer un peu la scГЁne.
Au bruit de ce souffle, Gorenflot cessa de ronfler et murmura:
— Mes frères! voici un vent féroce: c'est le souffle du Seigneur, c'est son haleine qui m'inspire.
— Et il se remit à ronfler.
Chicot attendit un instant que le sommeil eût bien repris toute son influence, et commença de démailloter le moine.
— Brrrrou! fit Gorenflot. Quel froid! Cela empêchera le raisin de mûrir.
Chicot s'arrГЄta au milieu de son opГ©ration, qu'il reprit un instant aprГЁs.
— Vous connaissez mon zèle, mes frères, continua le moine, tout pour l'Église et pour monseigneur le duc de Guise.
— Canaille! dit Chicot.
— Voilà mon opinion, reprit Gorenflot; mais il est certain...
— Qu'est-ce qui est certain? demanda Chicot en soulevant le moine pour lui passer sa robe.
— Il est certain que l'homme est plus fort que le vin; frère Gorenflot a combattu contre le vin, comme Jacob contre l'ange, et frère Gorenflot a dompté le vin.
Chicot haussa les Г©paules.
Ce mouvement intempestif fit ouvrir un oeil au moine, et, au-dessus de lui, il vit le sourire de Chicot, qui semblait livide et sinistrГ© Г cette douteuse lueur.
— Ah! pas de fantômes, voyons, pas de farfadets, dit le moine, comme s'il se plaignait à quelque démon familier, oublieux des conventions qu'il avait faites avec lui.
— Il est ivre mort, dit Chicot en achevant de rouler Gorenflot dans sa robe et en ramenant son capuchon sur sa tête.
— A la bonne heure, grommela le moine, le sacristain a fermé la porte du choeur, et le vent ne vient plus.
— Réveille-toi maintenant si tu veux, dit Chicot, cela m'est bien égal.
— Le Seigneur a entendu ma prière, murmura le moine, et l'aquilon qu'il avait envoyé pour geler les vignes s'est changé en doux zéphyr.
— Amen! dit Chicot.
Et, se faisant un oreiller des serviettes et un drap de la nappe, aprГЁs avoir le plus vraisemblablement possible disposГ© les bouteilles vides et les assiettes salies, il s'endormit cГґte Г cГґte avec son compagnon.
Le grand jour qui lui donnait su