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Victor, ou L'enfant de la forГЄt

François Ducray-Duminil

M.В Ducray-Duminil

Victor, ou L'enfant de la forГЄt

TOME PREMIER

UN MOT AU LECTEUR

Prouver que la vertu est supГ©rieure Г  tous les Г©vГ©nemens; qu'elle sait braver les coups du sort, et ceux de la mГ©chancetГ© des hommes; qu'elle est toujours grande, toujours sublime, mГЄme quand elle a le malheur de succomber sous les efforts du vice, tel est le but moral que s'est prescrit l'Auteur. Si son Victor intГ©resse, s'il fournit quelques mГ©ditations, quelques rГЄveries touchantes au philosophe, Г  l'ami de l'humanitГ©; si son plan est senti enfin par ceux qui lisent avec attention, qui cherchent toujours le fruit sous les fleurs, il sera bien rГ©compensГ© d'avoir entrepris cet Ouvrage, qu'on trouvera d'ailleurs bizarre, romanesque, extraordinaire, invraisemblable, tout ce que l'on voudra.

CHAPITRE PREMIER.

LA VEUVE ET L'ORPHELIN

Minuit sonne!.. Un silence religieux succède au tumulte des villes, au hennissement des chevaux, aux chants joyeux des agriculteurs… Le sommeil appesantit ses ailes noires sur la surface de notre hémisphère: il en secoue les pavots et les songes; les songes!.. qui ne font souvent que prolonger les peines de l'infortuné, tandis qu'ils rappellent à l'homme heureux les images riantes dont il a joui dans la journée. C'est le moment du repos pour tous les mortels; c'est le moment de la douleur pour le jeune Victor.

Il est seul dans son appartement, l'intГ©ressant Victor. Les deux coudes appuyГ©s sur sa fenГЄtre, sa tГЄte enfoncГ©e dans ses mains, il se livre aux plus tristes rГ©flexions. La lune Г©claire la campagne: elle rГ©flГ©chit son disque argentГ© dans l'eau limpide du canal qui entoure le chГўteau de Fritzierne; un lГ©ger zГ©phyr balance mollement la cime des arbres: les rossignols, les fauvettes, tous ces OrphГ©es des bois sont endormis; le cri lugubre de l'oiseau de Minerve trouble seul la tranquillitГ© dont veut jouir la nature; tout dispose Г  la mГ©lancolie, tout invite au recueillement.

Victor, occupé de mille pensers divers, fixe ses regards distraits sur les objets qui l'environnent; il regarde tout, et ne voit rien; il pense à mille choses, et n'a pas une seule idée. Ses yeux sont humides de larmes que ses paupières, immobiles, n'expriment point de ses yeux. Son cœur bat, ses genoux fléchissent; il semble qu'il ne puisse plus se soutenir, et voilà plus d'une heure qu'il est dans la même position!.. Un léger nuage cependant obscurcit le disque argenté de l'astre de la nuit; il en affaiblit la clarté; mais il en diverge les rayons sur des bois, des plaines, des rivières, des fortifications. L'absence de la lumière tire Victor de sa rêverie; il promène ses regards avec plus d'attention sur les objets qu'il peut distinguer encore: il les a vus cent fois; mais il ne les a jamais fixés avec autant de volupté: tout lui paraît nouveau, parce qu'il sent davantage. Les vastes forêts de la Bohême, qu'il habite, se présentent en masse à ses yeux étonnés. Au pied du mont des Géants, auprès duquel est situé le château de Fritzierne, il apperçoit l'Elbe sortant de sa source avec impétuosité, courant, au milieu de mille sinuosités, arroser les plaines, les villes et les hameaux. Il voit en imagination ce fleuve majestueux se grossir dans son cours, traverser la Misnie, la Saxe, et porter à la mer, au-dessus de Hambourg, le tribut de ses eaux gonflées, dans leur cours, par mille torrens divers. Il apperçoit la haute tour de Buntzlau, où Boleslas-le-Cruel-massacra son frère Vinceslas qui venait lui demander un asyle. Enfin, baissant les yeux sur les fortifications du château de Fritzierne, il le voit flanqué de bastions, de tourelles, de contre-forts, et défendu par un large fossé, qu'un pont-levis permet seul de franchir.

Ce spectacle imposant doit ГЄtre familier Г  Victor; mais il ne lui a jamais procurГ© autant de jouissances. Eh quoi! s'Г©crie-t-il, ces tableaux magnifiques, ces superbes campagnes, ce chГўteau oГ№ l'on Г©leva mon enfance; je quitterais tout cela!.. je fuirais un protect