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Le notaire de Chantilly

LГ©on Gozlan

LГ©on Gozlan

Le notaire de Chantilly

I

– Assez, Caroline, voici la nuit; vous n'y voyez plus: remettons à demain nos réflexions sur cette lecture qui a paru si vivement vous toucher. Essuyez vos yeux, mon enfant, et ne rougissez pas d'une sensibilité bien naturelle à dix-huit ans. Ce livre me plaît; sans me flatter d'en sentir comme vous tout le charme, je reconnais qu'il est écrit avec une rare simplicité. Les personnages y portent l'empreinte de ce roi qui l'imposait à tout ce qui l'approchait. Majestueuse et réservée, la passion s'y exprime en termes choisis. Mademoiselle de Clermont est un beau livre; mais ne l'oubliez plus sous cet acacia, comme hier au soir. Il est encore taché par la rosée de la nuit dernière. Vous êtes distraite, Caroline, depuis quelque temps. Voilà des branches qu'on n'a pas émondées: elles embarrassent l'allée des tilleuls; l'allée des tilleuls manque de sable, le bassin d'eau, l'eau n'a plus de poisson. Mais vous ne m'écoutez pas: – ce livre vous a tout émue; nous le relirons encore une fois cette année, Caroline.

– Je vous remercie, monsieur, de votre bienveillance. Je suis heureuse plus que je ne saurais dire de ce que vous partagiez quelquefois mes goûts; mais je n'ai pu retenir mes larmes en songeant que la catastrophe de ce livre a eu lieu à quelque distance de nous. Hier encore nous avons foulé l'allée où monsieur de Melun fut mutilé par un cerf. Nous apercevons les restes de ce château que Louis XIV honora de sa présence une fois dans sa vie; et si la révolution, comme vous me l'avez appris, n'en avait abattu les hauteurs, le soleil éclairerait à cette heure les croisées de l'appartement où mademoiselle de Clermont fut forcée de figurer, la mort sur le visage, au quadrille du roi, tandis que son mari expirait dans d'horribles douleurs. Quelle grande époque, n'est-ce pas, monsieur? Que de monuments n'a-t-elle pas laissés?

– La vertu et la liberté, mon enfant, en fondent seules de durables sur la terre. Voyez deux exemples qui se touchent: les Condés ont bâti un palais digne d'abriter des rois, et un hôpital bien modeste où sont reçus les sexagénaires du canton. Les révolutions et la mort ont détruit le palais et ses maîtres: l'hôpital est encore debout; écoutez: sa cloche sonne la prière du soir.

Caroline se tut: elle craignait d'avoir blessГ© les susceptibilitГ©s peu aristocratiques du vieillard.

Quittant le banc d'osier sur lequel elle Г©tait assise auprГЁs de M. Clavier, elle se leva pour passer dans la serre. M. Clavier, rГЄveur un instant, puis cherchant tout Г  coup oГ№ sa jeune amie pouvait ГЄtre, l'y suivit Г  pas lents.

Caroline donna un dernier coup d'Е“il aux camГ©lias, et s'assura par le thermomГЁtre que la chaleur intГ©rieure de la serre s'Г©levait Г  quinze degrГ©s; elle arrosa ensuite quelques amaryllis trop chauffГ©es par le tan. M. Clavier ne tarda pas Г  lui faire remarquer le danger de rester plus longtemps exposГ©e Г  la vapeur chaude et chargГ©e de l'atmosphГЁre; elle s'Г©tait plusieurs fois trouvГ©e indisposГ©e au milieu de la concentration de ces odeurs Г©manГ©es d'arbustes vivaces de la Chine et du Japon, volatilisГ©es par une tempГ©rature artificielle et la lente rГ©verbГ©ration des rayons solaires.

Il est vrai que cette serre était à peu près la seule distraction de Caroline, et l'occupation favorite de M. Clavier, qui y consacrait les soins ingénieux d'un amateur passionné des belles plantes. Elle prenait une partie de la façade de la maison, et elle se prolongeait ensuite le long du mur latéral de clôture, opposant sa cloison de verre taillée à carreaux au souffle inégal de l'air. Des brassées de plantes grimpantes couraient à l'extérieur le long de ses carreaux, comme pour regarder leurs sœurs plus favorisées à travers l'obstacle transparent qui les séparait. Lorsqu'une journée sereine luisait, mille insectes ailés s'abattaient en bourdonnant autour du pavillon végétal, vaste cloche sous laquelle les quatre parties du monde éta