Le CathГ©cumГЁne, traduit du chinois
Voltaire
Charles Bordes
Le CathГ©cumГЁne, traduit du chinois
Des affaires de commerce m'avoient engagГ© Г faire un voyage sur mer; j'Г©tois dГ©ja bien loin des cГґtes de ma patrie, lorsqu'une tempГЄte affreuse nous fit perdre notre route. Nous passГўmes plusieurs jours entre la vie & la mort; enfin nous fumes jettГ©s sur une terre inconnue, & forcГ©s de trouver un azile contre la fureur des flots.
Je tombai entre les mains d'un peuple rempli d'humanité: je m'aperçus bientôt qu'il avoit perfectionné tous les arts, qu'il pratiquoit les vertus, & qu'il étoit doué des plus hautes lumieres où l'homme puisse atteindre. Mon admiration égaloit ma reconnoissance; mais hélas! il n'est que trop vrai, que l'homme décele toujours par quelque endroit la foiblesse de son être.
Ces gens-là avoient pris de l'amitié pour moi comme j'en avois conçu pour eux; leur douceur, leur honnêteté avoient gagné mon ame: ils me dirent un jour, de quelle religion êtes vous? Cette question me surprit; je leur demandai, s'il y en avoit deux: ma réponse les fit sourire, & je vis qu'ils étoient étonnés de mon ignorance: ils ajouterent, adorez-vous des Dieux de bois, de métal ou de pierre? Je haussai les épaules; ils prirent un air de satisfaction, & poursuivirent: croyez-vous à Moïse qui fit massacrer vingt-trois mille de ses concitoyens par ordre de Dieu? Je fis un mouvement d'indignation; ils continuerent & me demanderent, si j'étois disciple de Mahomet qui fendit la lune en deux, & qui la cacha dans sa manche? Je ne répondis que par des signes de mépris, qui parurent les satisfaire infiniment: êtes-vous Chrétien? me dirent-ils enfin: Je repliquai, que je ne savois pas ce qu'ils vouloient dire: ils parurent fort étonnés, & ils ajouterent, qu'ils ne connoissoient dans le monde que quatre especes de religion. Vous n'en avez donc point? me dirent-ils: je leur répondis vainement, que j'étois né dans un pays, où l'on adoroit un seul Dieu, Intelligence suprême & bienfaisante, qui a créé le monde & qui le gouverne; qui récompense dans une autre vie les bonnes actions que l'homme a faites dans celle-ci; que notre culte consistoit dans une reconnoissance & une soumission sans bornes, & dans l'exercice habituel des vertus, c'est-à -dire de la modération, de la tempérance, de l'humanité, de la bienfaisance & de la justice. Est-ce tout? reprirent-ils: je leur dis que tout étoit renfermé dans ce peu de mots. Eh quoi! votre Dieu, ajouterent-ils, n'a point fait de miracles? Il a créé le Ciel & la Terre, répondis-je modestement; que voulez-vous de plus? Quoi: point de Mystères, de Prêtres, de cérémonies! Je baissai la tête, & leur dis que je ne les comprenois pas. Je les entendis alors s'écrier entre eux: le pauvre homme! dans quel excès d'aveuglement, d'ignorance & de barbarie il est plongé! Mon ami, me dit l'un d'eux, nous avons pitié de votre état: nous voulons vous éclairer; remerciez Dieu qui vous a conduit de sa main au milieu de nous, pour vous instruire & vous convaincre de notre sainte & admirable religion. Notre Dieu se nomme le Christ, nous nous appellons Catholiques, vous allez voir Dieu. Mon étonnement seroit difficile à exprimer; eh quoi! vous me ferez voir Dieu! Sans doute, répondirent-ils, vous le verrez tout comme nous; nous n'avons pour cela que quatre pas à faire.
Je les suivis donc: nous aprochions d'un édifice immense, ils me dirent que c'étoit le Temple; je me fis expliquer ce mot: j'appris avec la plus grande surprise, que c'étoit un bâtiment où résidoit leur Dieu. Et quoi! leur dis-je, vous renfermez Dieu entre quatre murailles, cet Etre immense, infini, qui anime, pénètre, environne des mondes sans nombre! Ils me répondirent froidement: quand vous verrez notre Dieu, vous ne serez plus si surpris. J'aperçus des portes, des serrures & des clefs à l'entrée de l'édifice, j'en demandai l'explication. Quoi! le Dieu du Ciel & de la Terre, vous le tenez sous la clef! Il le faut bien, dirent-ils, sans cela o