L'IngГ©nu
Voltaire
Voltaire
L'IngГ©nu
PrГ©face de l'Г‰diteur
L'INGÉNU, histoire véritable, tirée des manuscrits du P. Quesnel, 1767, deux parties, petit in-8°, fut, dans quelques éditions, intitulé: Le Huron, ou l'Ingénu.
L'ouvrage se vendait publiquement en septembre 1767, mais au bout de huit ou dix jours il fut saisi; et le prix, qui Г©tait de trois livres, monta Г vingt- quatre[1 - MГ©moires secrets, du 13 septembre 1767.].
Trois ans aprГЁs, on vit paraГ®tre L' IngГ©nue, ou l'Encensoir des dames, par la niГЁce Г mon oncle, GenГЁve et Paris, chez Desventes, 1770, in-12.
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Les notes sans signature, et qui sont indiquГ©es par des lettres, sont de Voltaire.
Les notes signГ©es d'un K sont des Г©diteurs de Kehl, MM. Condorcet et Decroix. Il est impossible de faire rigoureusement la part de chacun.
Les additions que j'ai faites aux notes de Voltaire ou aux notes des éditeurs de Kehl, en sont séparées par un – , et sont, comme mes notes, signées de l'initiale de mon nom.
BEUCHOT.
4В octobre 1829.
CHAPITRE I
Comment le prieur de Notre-Dame de la Montagne et mademoiselle sa soeur rencontrГЁrent un Huron.
Un jour saint Dunstan, Irlandais de nation et saint de profession, partit d'Irlande sur une petite montagne qui vogua vers les cГґtes de France, et arriva par cette voiture Г la baie de Saint-Malo. Quand il fut Г bord, il donna la bГ©nГ©diction Г sa montagne, qui lui fit de profondes rГ©vГ©rences, et s'en retourna en Irlande par le mГЄme chemin qu'elle Г©tait venue.
Dunstan fonda un petit prieurГ© dans ces quartiers-lГ , et lui donna le nom de prieurГ© de la Montagne, qu'il porte encore, comme un chacun sait.
En l'annГ©e 1689, le 15 juillet au soir, l'abbГ© de Kerkabon, prieur de Notre-Dame de la Montagne, se promenait sur le bord de la mer avec mademoiselle de Kerkabon, sa soeur, pour prendre le frais. Le prieur, dГ©jГ un peu sur l'Гўge, Г©tait un trГЁs bon ecclГ©siastique, aimГ© de ses voisins, aprГЁs l'avoir Г©tГ© autrefois de ses voisines. Ce qui lui avait donnГ© surtout une grande considГ©ration, c'est qu'il Г©tait le seul bГ©nГ©ficier du pays qu'on ne fГ»t pas obligГ© de porter dans son lit quand il avait soupГ© avec ses confrГЁres. Il savait assez honnГЄtement de thГ©ologie; et quand il Г©tait las de lire saint Augustin, il s'amusait avec Rabelais: aussi tout le monde disait du bien de lui.
Mademoiselle de Kerkabon, qui n'avait jamais Г©tГ© mariГ©e, quoiqu'elle eГ»t grande envie de l'ГЄtre, conservait de la fraГ®cheur Г l'Гўge de quarante-cinq ans; son caractГЁre Г©tait bon et sensible; elle aimait le plaisir et Г©tait dГ©vote.
Le prieur disait Г sa soeur, en regardant la mer: HГ©las! c'est ici que s'embarqua notre pauvre frГЁre avec notre chГЁre belle-soeur madame de Kerkabon, sa femme, sur la frГ©gate l'Hirondelle, en 1669, pour aller servir en Canada. S'il n'avait pas Г©tГ© tuГ©, nous pourrions espГ©rer de le revoir encore.
Croyez-vous, disait mademoiselle de Kerkabon, que notre belle-soeur ait Г©tГ© mangГ©e par les Iroquois, comme on nous l'a dit? Il est certain que si elle n'avait pas Г©tГ© mangГ©e, elle serait revenue au pays. Je la pleurerai toute ma vie; c'Г©tait une femme charmante; et notre frГЁre qui avait beaucoup d'esprit aurait fait assurГ©ment une grande fortune."
Comme ils s'attendrissaient l'un et l'autre Г ce souvenir, ils virent entrer dans la baie de Rance un petit bГўtiment qui arrivait avec la marГ©e: c'Г©taient des Anglais qui venaient vendre quelques denrГ©es de leur pays. Ils sautГЁrent Г terre, sans regarder monsieur le prieur ni mademoiselle sa soeur, qui fut trГЁs choquГ©e du peu d'attention qu'on avait pour elle.
Il n'en fut pas de même d'un jeune homme très bien fait qui s'élança d'un saut par-dessus la tête de ses compagnons, et se trouva vis-à -vis mademoiselle. Il lui fit un signe de tête, n'étant pas dans l'usage de faire la révérence. Sa figure et son ajustement attirèrent les regards du frère et de la soeur. Il était nu-tête et nu-jambes, les pieds chaussés de petites sandales, le chef orné de longs cheveux en tresses, un