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Contes Г  Ninon

Г‰mile Zola

Г‰mile Zola

Contes Г  Ninon

A NINON

Les voici donc, mon amie, ces libres rГ©cits de notre jeune Гўge, que je t'ai contГ©s dans les campagnes de ma chГЁre Provence, et que tu Г©coutais d'une oreille attentive, en suivant vaguement du regard les grandes lignes bleues des collines lointaines.

Les soirs de mai, Г  l'heure oГ№ la terre et le ciel s'anГ©antissaient avec lenteur dans une paix suprГЄme, je quittais la ville et gagnais les champs: les coteaux arides, couverts de ronces et de genГ©vriers; ou bien les bords de la petite riviГЁre, ce torrent de dГ©cembre, si discret aux beaux jours; ou encore un coin perdu de la plaine, tiГЁde des embrasements de midi, vastes terrains jaunes et rouges, plantГ©s d'amandiers aux branches maigres, de vieux oliviers grisonnants et de vignes laissant traГ®ner sur le sol leurs ceps entrelacГ©s.

Pauvre terre dessГ©chГ©e, elle flamboie au soleil, grise et nue, entre les prairies grasses de la Durance et les bois d'orangers du littoral. Je l'aime pour sa beautГ© Гўpre, ses roches dГ©solГ©es, ses thyms et ses lavandes. Il y a dans celle vallГ©e stГ©rile je ne sais quel air brГ»lant de dГ©solation: un Г©trange ouragan de passion semble avoir soufflГ© sur la contrГ©e; puis, un grand accablement s'est fait, et les campagnes, ardentes encore, se sont comme endormies dans un dernier dГ©sir. Aujourd'hui, au milieu de mes forГЄts du Nord, lorsque je revois en pensГ©e ces poussiГЁres et ces cailloux, je me sens un amour profond pour cette patrie sГ©vГЁre qui n'est pas la mienne. Sans doute, l'enfant rieur et les vieilles roches chagrines s'Г©taient autrefois pris de tendresse; et, maintenant, l'enfant devenu homme dГ©daigne les prГ©s humides, les verdures noyГ©es, amoureux des grandes routes blanches et des montagnes brГ»lГ©es, oГ№ son Гўme, fraГ®che de ses quinze ans, a rГЄvГ© ses premiers songes.

Je gagnais les champs. LГ , au milieu des terres labourГ©es ou sur les dalles des coteaux, lorsque je m'Г©tais couchГ© Г  demi, perdu dans cette paix qui tombait des profondeurs du ciel, je te trouvais, en tournant la tГЄte, mollement couchГ©e Г  ma droite, pensive, le menton dans la main, me regardant de tes grands yeux. Tu Г©tais l'ange de mes solitudes, mon bon ange gardien que j'apercevais prГЁs de moi, quelle que fГ»t ma retraite; tu lisais dans mon coeur mes secrets dГ©sirs, tu t'asseyais partout Г  mon cГґtГ©, ne pouvant ГЄtre oГ№ je n'Г©tais pas. Aujourd'hui, j'explique ainsi ta prГ©sence de chaque soir. Autrefois, sans jamais le voir venir, je n'avais point d'Г©tonnement Г  rencontrer sans cesse tes clairs regards: je te savais fidГЁle, toujours en moi.

Ma chГЁre Гўme, tu me rendais plus douces les tristesses des soirГ©es mГ©lancoliques. Tu avais la beautГ© dГ©solГ©e de ces collines, leur pГўleur de marbre, rougissante aux derniers baisers du soleil. Je ne sais quelle pensГ©e Г©ternelle Г©levait ton front et grandissait tes yeux. Puis, lorsqu'un sourire passait sur tes lГЁvres paresseuses, on eГ»t dit, dans la jeunesse et la splendeur soudaine de ton visage, ce rayon de mai qui fait monter toutes fleurs et toutes verdures de cette terre frГ©missante, fleurs et verdures d'un jour que brГ»lent les soleils de juin. Il existait, entre toi et les horizons, de secrГЁtes harmonies qui me faisaient aimer les pierres des sentiers. La petite riviГЁre avait ta voix; les Г©toiles, Г  leur lever, regardaient de ton regard; toutes choses, autour de moi, souriaient de ton sourire. Et toi, donnant ta grГўce Г  cette nature, tu en prenais les sГ©vГ©ritГ©s passionnГ©es. Je vous confondais l'une avec l'autre. A te voir, j'avais conscience de son ciel libre, et, lorsque mes yeux interrogeaient la vallГ©e, je retrouvais tes lignes souples et fortes dans les ondulations des terrains. C'est Г  vous comparer ainsi que je me mis Г  vous aimer follement toutes deux, ne sachant laquelle j'adorais davantage, de ma chГЁre Provence ou de ma chГЁre Ninon.

Chaque matin, mon amie, je me sens des besoins nouveaux de te remercier des jours d'autrefois. Tu fus charitable et douce, de m'aimer un