Le Blanc et le Noir

Voltaire

Voltaire

Le Blanc et le Noir

PrГ©face de l'Г‰diteur

Les deux contes, Le Blanc et le Noir, Jeannot et Colin, font partie du volume qui parut, en 1764, sous le titre de Contes de Guillaume Fade.

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Les notes sans signature, et qui sont indiquГ©es par des lettres, sont de Voltaire.

Les notes signГ©es d'un K sont des Г©diteurs de Kehl, MM. Condorcet et Decroix. Il est impossible de faire rigoureusement la part de chacun.

Les additions que j'ai faites aux notes de Voltaire ou aux notes des éditeurs de Kehl, en sont séparées par un – , et sont, comme mes notes, signées de l'initiale de mon nom.

BEUCHOT.

4В octobre 1829.

LE BLANC ET LE NOIR

1764.

Tout le monde dans la province de Candahar connaГ®t l'aventure du jeune Rustan. Il Г©tait fils unique d'un mirza du pays; c'est comme qui dirait marquis parmi nous, ou baron chez les Allemands. Le mirza, son pГЁre, avait un bien honnГЄte. On devait marier le jeune Rustan Г  une demoiselle, ou mirzasse de sa sorte. Les deux familles le dГ©siraient passionnГ©ment. Il devait faire la consolation de ses parents, rendre sa femme heureuse, et l'ГЄtre avec elle.

Mais par malheur il avait vu la princesse de Cachemire Г  la foire de Cabul, qui est la foire la plus considГ©rable du monde, et incomparablement plus frГ©quentГ©e que celle de Bassora et d'Astracan; et voici pourquoi le vieux prince de Cachemire Г©tait venu Г  la foire avec sa fille.

Il avait perdu les deux plus rares piГЁces de son trГ©sor: l'une Г©tait un diamant gros comme le pouce, sur lequel sa fille Г©tait gravГ©e par un art que les Indiens possГ©daient alors, et qui s'est perdu depuis; l'autre Г©tait un javelot qui allait de lui-mГЄme oГ№ l'on voulait; ce qui n'est pas une chose bien extraordinaire parmi nous, mais qui l'Г©tait Г  Cachemire.

Un faquir de son altesse lui vola ces deux bijoux; il les porta Г  la princesse. Gardez soigneusement ces deux piГЁces, lui dit-il; votre destinГ©e en dГ©pend. Il partit alors, et on ne le revit plus. Le duc de Cachemire au dГ©sespoir rГ©solut d'aller voir, Г  la foire de Cabul, si de tous les marchands qui s'y rendent des quatre coins du monde il n'y en aurait pas un qui eГ»t son diamant et son arme. Il menait sa fille avec lui dans tous ses voyages. Elle porta son diamant bien enfermГ© dans sa ceinture; mais pour le javelot qu'elle ne pouvait si bien cacher, elle l'avait enfermГ© soigneusement Г  Cachemire dans son grand coffre de la Chine.

Rustan et elle se virent Г  Cabul; ils s'aimГЁrent avec toute la bonne foi de leur Гўge, et toute la tendresse de leur pays. La princesse, pour gage de son amour, lui donna son diamant, et Rustan lui promit Г  son dГ©part de l'aller voir secrГЁtement Г  Cachemire.

Le jeune mirza avait deux favoris qui lui servaient de secrГ©taires, d'Г©cuyers, de maГ®tres-d'hГґtel, et de valets de chambre. L'un s'appelait Topaze; il Г©tait beau, bien fait, blanc comme une Circassienne, doux et serviable comme un ArmГ©nien, sage comme un GuГЁbre, l'autre se nommait Г‰bГЁne; c'Г©tait un nГЁgre fort joli, plus empressГ©, plus industrieux que Topaze, et qui ne trouvait rien de difficile. Il leur communiqua le projet de son voyage. Topaze tГўcha de l'en dГ©tourner avec le zГЁle circonspect d'un serviteur qui ne voulait pas lui dГ©plaire; il lui reprГ©senta tout ce qu'il hasardait. Comment laisser deux familles au dГ©sespoir? comment mettre le couteau dans le coeur de ses parents? Il Г©branla Rustan; mais Г‰bГЁne le raffermit et leva tous ses scrupules.

Le jeune homme manquait d'argent pour un si long voyage. Le sage Topaze ne lui en aurait pas fait prГЄter; Г‰bГЁne y pourvut. Il prit adroitement le diamant de son maГ®tre, en fit faire un faux tout semblable qu'il remit Г  sa place, et donna le vГ©ritable en gage Г  un ArmГ©nien pour quelques milliers de roupies.

Quand le marquis eut ses roupies, tout fut prГЄt pour le dГ©part. On chargea un Г©lГ©phant de son bagage; on monta Г  cheval. Topaze dit Г  son maГ®tre: J'ai pris la libertГ© de vous faire des remontrances sur votre entreprise; mais, aprГЁs avoir remontrГ©,