Jeannot et Colin
Voltaire
Voltaire
Jeannot et Colin
PrГ©face de l'Г‰diteur
Les deux contes, Le blanc et le noir, Jeannot et Colin, font partie du volume qui parut, en 1764, sous le titre de Contes de Guillaume Fade.
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Les notes sans signature, et qui sont indiquГ©es par des lettres, sont de Voltaire.
Les notes signГ©es d'un K sont des Г©diteurs de Kehl, MM. Condorcet et Decroix. Il est impossible de faire rigoureusement la part de chacun.
Les additions que j'ai faites aux notes de Voltaire ou aux notes des éditeurs de Kehl, en sont séparées par un – , et sont, comme mes notes, signées de l'initiale de mon nom.
BEUCHOT.
4В octobre 1829.
JEANNOT ET COLIN
Plusieurs personnes dignes de foi ont vu Jeannot et Colin Г l'Г©cole dans la ville d'Issoire, en Auvergne, ville fameuse dans tout l'univers par son collГЁge et par ses chaudrons. Jeannot Г©tait fils d'un marchand de mulets trГЁs renommГ©; Colin devait le jour Г un brave laboureur des environs, qui cultivait la terre avec quatre mulets, et qui, aprГЁs avoir payГ© la taille, le taillon, les aides et gabelles, le sou pour livre, la capitation, et les vingtiГЁmes, ne se trouvait pas puissamment riche au bout de l'annГ©e.
Jeannot et Colin Г©taient fort jolis pour des Auvergnats; ils s'aimaient beaucoup; et ils avaient ensemble de petites privautГ©s, de petites familiaritГ©s, dont on se ressouvient toujours avec agrГ©ment quand on se rencontre ensuite dans le monde.
Le temps de leurs Г©tudes Г©tait sur le point de finir, quand un tailleur apporta Г Jeannot un habit de velours Г trois couleurs, avec une veste de Lyon de fort bon goГ»t; le tout Г©tait accompagnГ© d'une lettre Г M. de La JeannotiГЁre. Colin admira l'habit, et ne fut point jaloux; mais Jeannot prit un air de supГ©rioritГ© qui affligea Colin. DГЁs ce moment Jeannot n'Г©tudia plus, se regarda au miroir, et mГ©prisa tout le monde. Quelque temps aprГЁs un valet de chambre arrive en poste, et apporte une seconde lettre Г monsieur le marquis de La JeannotiГЁre; c'Г©tait un ordre de monsieur son pГЁre de faire venir monsieur son fils Г Paris. Jeannot monta en chaise en tendant la main Г Colin avec un sourire de protection assez noble. Colin sentit son nГ©ant, et pleura. Jeannot partit dans toute la pompe de sa gloire.
Les lecteurs qui aiment Г s'instruire doivent savoir que M. Jeannot, le pГЁre, avait acquis assez rapidement des biens immenses dans les affaires. Vous demandez comment on fait ces grandes fortunes? C'est parcequ'on est heureux. M. Jeannot Г©tait bien fait, sa femme aussi, et elle avait encore de la fraГ®cheur. Ils allГЁrent Г Paris pour un procГЁs qui les ruinait, lorsque la fortune, qui Г©lГЁve et qui abaisse les hommes Г son grГ©, les prГ©senta Г la femme d'un entrepreneur des hГґpitaux des armГ©es, homme d'un grand talent, et qui pouvait se vanter d'avoir tuГ© plus de soldats en un an que le canon n'en fait pГ©rir en dix. Jeannot plut Г madame; la femme de Jeannot plut Г monsieur. Jeannot fut bientГґt de part dans l'entreprise; il entra dans d'autres affaires. DГЁs qu'on est dans le fil de l'eau, il n'y a qu'Г se laisser aller; on fait sans peine une fortune immense. Les gredins, qui du rivage vous regardent voguer Г pleines voiles, ouvrent des yeux Г©tonnГ©s; ils ne savent comment vous avez pu parvenir; ils vous envient au hasard, et font contre vous des brochures que vous ne lisez point. C'est ce qui arriva Г Jeannot le pГЁre, qui fut bientГґt M. de La JeannotiГЁre, et qui, ayant achetГ© un marquisat au bout de six mois, retira de l'Г©cole monsieur le marquis son fils, pour le mettre Г Paris dans le beau monde.
Colin, toujours tendre, Г©crivit une lettre de compliments Г son ancien camarade, et lui fit ces lignes pour le congratuler. Le petit marquis ne lui fit point de rГ©ponse: Colin en fut malade de douleur.
Le pГЁre et la mГЁre donnГЁrent d'abord un gouverneur au jeune marquis: ce gouverneur, qui Г©tait un homme du bel air, et qui ne savait rien, ne put rien enseigner Г son pupille. Monsieur voulait que son fils apprГ®t le latin, madame ne le voulait p