Le Bossu Volume 5

Paul FГ©val

Paul FГ©val

Le Bossu Volume 5 Aventures de cape et d'Г©pГ©e

LE CONTRAT DE MARIAGE.

(SUITE.)

II

– Un coup de bourse sous la régence. —

Le bossu Г©tait entrГ© l'un des premiers Г  l'hГґtel de Gonzague, et dГЁs l'ouverture des portes on l'avait vu arriver avec un petit commissionnaire qui portait une chaise, un coffre, un oreiller et un matelas.

Le bossu meublait sa niche et voulait Г©videmment en faire son domicile, comme il en avait le droit par son bail.

Il avait, en effet, succГ©dГ© aux droits de MГ©dor, et MГ©dor couchait dans sa niche.

Les locataires des cahutes du jardin de Gonzague eussent voulu des jours de vingt-quatre heures. Le temps manquait Г  leur appГ©tit de nГ©goce. En route pour aller chez eux ou en revenir, ils agiotaient; ils se rГ©unissaient pour dГ®ner afin d'agioter en mangeant. Les heures seules du sommeil Г©taient perdues.

N'est-il pas humiliant de penser que l'homme, esclave d'un besoin matГ©riel, ne peut agioter en dormant!

La veine était à la hausse. La fête du Palais-Royal avait produit un immense effet. Bien entendu, personne, parmi ce petit peuple de spéculateurs, n'avait mis le pied à la fête; mais quelques-uns, perchés sur les terrasses des maisons voisines, avaient pu entrevoir le ballet. On ne parlait que du ballet. La fille du Mississipi, puisant à l'urne de son respectable père de l'eau qui se changeait en pièces d'or, voilà une fine et charmante allégorie, quelque chose de vraiment français et qui pouvait faire pressentir à quelle hauteur s'élèverait dans les siècles suivants le génie dramatique du peuple qui, né malin, créa le vaudeville!

Au souper, entre la poire et le fromage, on avait accordГ© une nouvelle crГ©ation d'actions. C'Г©taient les petites-filles. Elles avaient dГ©jГ  dix pour cent de prime avant d'ГЄtre gravГ©es. Les mГЁres Г©taient blanches, les filles jaunes; les petites-filles devaient ГЄtre bleues: couleur du ciel, du lointain, de l'espoir et des rГЄves!

Il y a, quoi qu'on en dise, une large et profonde poГ©sie dans un registre Г  souche!

En général, les boutiques qui faisaient le coin des rues baraquées étaient des débits de boissons dont les maîtres vendaient le ratafia d'une main et jouaient de l'autre. On buvait beaucoup: cela met de l'entrain dans les transactions. – A chaque instant, on voyait les spéculateurs heureux porter rasade aux gardes-françaises, postés en sentinelles aux avenues principales.

Ces tours de faction Г©taient trГЁs-recherchГ©s. Cela valait une campagne aux Porcherons.

Incessamment, des portefaix et voituriers Г  bras amenaient des masses de marchandises qu'on entassait dans les cases ou au dehors, au beau milieu de la voie. Les ports Г©taient payГ©s un prix fou. Une seule chose, de nos jours, peut donner l'idГ©e du tarif de la rue Quincampoix, c'est le tarif de San-Francisco, la ville du golden-fever, oГ№ les malades de cette fiГЁvre d'or payaient, dit-on, deux dollars pour faire cirer leurs bottes.

La rue Quincampoix avait du reste d'Г©tonnants rapports avec la Californie. Notre siГЁcle n'a rien inventГ© en fait d'extravagances.

Ce n'Г©tait ni l'or ni l'argent, ce n'Г©taient pas non plus les marchandises qu'on recherchait; la vogue Г©tait aux petits papiers. Les blanches, les jaunes, les mГЁres, les filles, enfin ces chers anges qui allaient naГ®tre, les petites-filles, les bleues, ces tendres actions dont le berceau s'entourait dГ©jГ  de tant de sollicitudes! voilГ  ce qu'on demandait de toutes parts, Г  grands cris, voilГ  ce qu'on voulait, voilГ  ce qui vГ©ritablement excitait le dГ©lire de tous!

Veuillez rГ©flГ©chir: un louis vaut vingt-quatre francs aujourd'hui, demain il vaudra encore vingt-quatre francs, tandis qu'une petite-fille de mille livres qui, ce matin, ne vaut que cinq cents pistoles, peut valoir deux mille Г©cus demain soir.

A bas la monnaie, lourde, vieille, immobile! vive le papier lГ©ger comme l'air! le papier prГ©cieux, le papier magique qui accomplit, au fond mГЄme du portefeuille, je ne sais quel travail d'alchimiste! Une statue