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Le MontonГ©ro

Gustave Aimard

Gustave Aimard

Le MontonГ©ro

I

LE CALLEJГ“N DE LAS CRUCES

Bien que la ville de San Miguel de Tucumán ne soit pas très ancienne et que sa construction remonte à peine à deux cents ans, cependant, grâce peut-être à la population calme et studieuse qui l'habite, elle a un certain parfum moyen âge qui s'exhale à profusion des vieux cloîtres de ses couvents et des murs épais et noircis de ses églises; l'herbe, dans les bas quartiers de la ville, croît en liberté dans les rues presque constamment solitaires; et çà et là, quelque masure décrépite, fendillée par le temps, penchée sur le fleuve, dans lequel elle plonge ses pieds, et au-dessus duquel elle semble se soutenir par un miracle incompréhensible d'équilibre, offre aux regards curieux du voyageur artiste, les effets les plus pittoresques et les points de vue les plus saisissants.

Le CallejГіn de las Cruces surtout, rue Г©troite et tortueuse bordГ©e de maisons basses et sombres, qui donne d'un bout Г  la riviГЁre et de l'autre dans la rue de Los Mercaderes, est sans contredit une des plus singuliГЁrement pittoresques de la ville.

A l'Г©poque oГ№ se passe notre histoire, et probablement encore aujourd'hui, la plus grande partie du cГґtГ© droit du CallejГіn de las Cruces Г©tait occupГ©e par une longue et large maison, d'un aspect sombre et froid, que ses murs Г©pais et les barreaux de fer dont ses fenГЄtres Г©troites Г©taient garnies faisaient ressembler Г  une prison.

Cependant, il n'en Г©tait rien; cette maison Г©tait une espГЁce de bГ©guinage comme on en rencontre tant aujourd'hui encore dans les Flandres belges et hollandaises, si longtemps possГ©dГ©es par les Espagnols, et servait de retraite Г  des femmes de toutes les classes de la sociГ©tГ©, qui, sans avoir positivement prononcГ© de vЕ“ux, voulaient vivre Г  l'abri des orages du monde et consacrer le temps, qui leur restait Г  passer encore sur la terre, Г  des exercices de piГ©tГ© et Г  des Е“uvres de bienfaisance.

Du reste, ainsi que l'a pu voir le lecteur, aprГЁs la description que nous avons faite du lieu oГ№ elle s'Г©levait, cette maison Г©tait parfaitement appropriГ©e Г  sa destination, et il rГ©gnait constamment autour d'elle un calme et une tranquillitГ© qui la faisaient plutГґt ressembler Г  une vaste nГ©cropole qu'Г  une communautГ© quasi religieuse de femmes.

Tous les bruits venaient mourir sans Г©cho sur le seuil de la porte de cette sinistre maison: les cris de joie comme les cris de colГЁre, le brouhaha des fГЄtes comme les grondements de l'insurrection, rien ne parvenait Г  la galvaniser et Г  la faire sortir de sa majestueuse et sombre indiffГ©rence.

Cependant, un soir, la nuit mГЄme du jour oГ№ le gouverneur de San Miguel avait donnГ© au Cabildo un bal en rГ©jouissance de la victoire remportГ©e par ZГ©no Cabral sur les Espagnols, vers minuit, une troupe d'hommes armГ©s, dont les pas cadencГ©s rГ©sonnaient sourdement dans les tГ©nГЁbres, avaient dГ©bouchГ© de la rue de Los Mercaderes, tournГ© dans le CallejГіn de las Cruces, et, arrivГ©s devant la porte massive et solidement verrouillГ©e de la maison dont nous avons parlГ©, ils s'Г©taient arrГЄtГ©s.

Celui qui paraissait le chef de ces hommes avait frappГ© trois fois du pommeau de son Г©pГ©e sur la porte qui s'Г©tait immГ©diatement ouverte.

Cet homme avait alors Г©changГ© Г  voix basse quelques paroles avec une personne invisible; puis, sur un signe de lui, les rangs de sa troupe s'Г©taient ouverts; quatre femmes, quatre spectres peut-ГЄtre, drapГ©es dans de longs voiles, qui ne laissaient apercevoir aucun dГ©tail de leur personne, Г©taient entrГ©s silencieusement et Г  la file dans la maison. Quelques mots avaient encore Г©tГ© Г©changГ©s entre le chef de la troupe et l'invisible portier de cette habitation sinistre; puis la porte s'Г©tait refermГ©e sans bruit, comme elle s'Г©tait ouverte; les soldats avaient repris le chemin par lequel ils Г©taient venus, et tout avait Г©tГ© dit.

Ce fait singulier s'était passé sans éveiller en aucune faç