Le meunier d'Angibault
Жорж Санд
George Sand
Le meunier d'Angibault
NOTICE
Ce roman est, comme tant d'autres, le rГ©sultat d'une promenade, d'une rencontre, d'un jour de loisir, d'une heure de far niente. Tous ceux qui ont Г©crit, bien ou mal, des ouvrages d'imagination ou mГЄme de science, savent que la vision des choses intellectuelles part souvent de celle des choses matГ©rielles. La pomme qui tombe de l'arbre fait dГ©couvrir Г Newton une des grandes lois de l'univers. A plus forte raison le plan d'un roman peut-il naГ®tre de la rencontre d'un fait ou d'un objet quelconque. Dans les oeuvres du gГ©nie scientifique, c'est la rГ©flexion qui tire du fait mГЄme la raison des choses. Dans les plus humbles fantaisies de l'art, c'est la rГЄverie qui habille et complГЁte ce fait isolГ©. La richesse ou la pauvretГ© de l'oeuvre n'y fait rien. Le procГ©dГ© de l'esprit est le mГЄme pour tous.
Or, il y a dans notre vallГ©e un joli moulin qu'on appelle Angibault, dont je ne connais pas le meunier, mais dont j'ai connu le propriГ©taire. C'Г©tait un vieux monsieur, qui, depuis sa liaison Г Paris avec M. de Robespierre (il l'appelait toujours ainsi), avait laissГ© croГ®tre autour de ses Г©cluses tout ce qui avait voulu pousser: l'aune et la ronce, le chГЄne et le roseau. La riviГЁre, abandonnГ©e Г son caprice, s'Г©tait creusГ©, dans le sable et dans l'herbe, un rГ©seau de petits torrents qu'aux jours d'Г©tГ©, dans les eaux basses, les plantes fontinales couvraient de leurs touffes vigoureuses. Mais le vieux monsieur est mort; la cognГ©e a fait sa besogne; il y avait bien des fagots Г tailler, bien des planches Г scier dans cette forГЄt vierge en miniature. Il y reste encore quelques beaux arbres, des eaux courantes, un petit bassin assez frais, et quelques buissons de ces ronces gigantesques qui sont les lianes de nos climats. Mais ce coin de paradis sauvage que mes enfants et moi avions dГ©couvert en 1844, avec des cris de surprise et de joie, n'est plus qu'un joli endroit comme tant d'autres.
Le chГўteau de Blanchemont avec son paysage, sa garenne et sa ferme, existe tel que je l'ai fidГЁlement dГ©peint; seulement il s'appelle autrement, et les Bricolin sont des types fictifs. La folle qui joue un rГґle dans cette histoire, m'est apparue ailleurs: c'Г©tait aussi une folle par amour. Elle fit une si pГ©nible impression sur mes compagnons de voyage et sur moi, que malgrГ© vingt lieues de pays que nous avions faites pour explorer les ruines d'une magnifique abbaye de la renaissance, nous ne pГ»mes y rester plus d'une heure. Cette malheureuse avait adoptГ© ce lieu mГ©lancolique pour sa promenade machinale, constante, Г©ternelle. La fiГЁvre avait brГ»lГ© l'herbe sous ses pieds obstinГ©s, la fiГЁvre du dГ©sespoir!
GEORGE SAND.
Nohant, 5 septembre 1852.
A SOLANGE ***.
Mon enfant, cherchons ensemble.
PREMIÈRE JOURNÉE
I.
INTRODUCTION
Une heure du matin sonnait Г Saint-Thomas-d'Aquin, lorsqu'une forme noire, petite et rapide, se glissa le long du grand mur ombragГ© d'un de ces beaux jardins qu'on trouve encore Г Paris sur la rive gauche de la Seine, et qui ont tant de prix au milieu d'une capitale. La nuit Г©tait chaude et sereine. Les daturas en fleurs exhalaient de suaves parfums, et se dressaient comme de grands spectres blancs sous le regard brillant de la pleine lune. Le style du large perron de l'hГґtel de Blanchemont avait encore un vieux air de splendeur, et le jardin vaste et bien entretenu rehaussait l'opulence apparente de cette demeure silencieuse, oГ№ pas une lumiГЁre ne brillait aux fenГЄtres.
Cette circonstance d'un superbe clair de lune, donnait bien quelque inquiГ©tude Г la jeune femme en deuil qui se dirigeait, en suivant l'allГ©e la plus sombre, vers une petite porte situГ©e Г l'extrГ©mitГ© du mur. Mais elle n'y allait pas moins avec rГ©solution, car ce n'Г©tait pas la premiГЁre fois qu'elle risquait sa rГ©putation pour un amour pur et dГ©sormais lГ©gitime; elle Г©tait veuve depuis un mois.
Elle profita du rempart que lui faisait un massif d'acacias pour arriver sans bruit jusqu'Г la peti