Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 4
Reinhart Dozy
Reinhart Pieter Anne Dozy
Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 4/4 / jusqu'Г la conquГЄte de l'Andalouisie par les Almoravides (711-1100)
I
Depuis plusieurs années, les provinces de l’Espagne musulmane se trouvaient abandonnées à elles-mêmes sans qu’elles l’eussent voulu. Le peuple en général s’en affligeait; il ne songeait qu’avec effroi à l’avenir et regrettait le passé. Les capitaines étrangers furent les seuls qui profitèrent de la décomposition totale de la Péninsule. Les généraux berbers se partagèrent le Midi; les Slaves régnèrent dans l’Est; le reste échut en partage, soit à des parvenus, soit au petit nombre de familles nobles qui, par un hasard quelconque, avaient résisté aux coups qu’Abdérame III et Almanzor avaient portés à l’aristocratie. Enfin, les deux villes les plus considérables, Cordoue et Séville, se constituèrent en républiques.
Les Hammoudites étaient, mais seulement de nom, les chefs du parti berber. Ils prétendaient avoir des droits sur toute la partie arabe de la Péninsule; en réalité ils n’y possédaient que la ville de Malaga et son territoire. Les plus puissants parmi leurs vassaux étaient les princes de Grenade, Zâwî, qui éleva Grenade au rang de capitale[1 - Jusque-là Elvira avait été la capitale de cette province, mais cette ville ayant eu fort à souffrir de la guerre civile, ses habitants émigrèrent vers l’année 1010, et se transportèrent à Grenade.], et son neveu Habbous qui lui succéda. Il y avait en outre des princes berbers à Carmona, à Moron, à Ronda. Les Aftasides, qui régnaient à Badajoz, appartenaient à la même nation; mais entièrement arabisés, ils se donnaient une origine arabe, et occupaient une position assez isolée.
Dans le parti opposé, les hommes les plus marquants étaient Khairân, le prince d’Almérie, Zohair, qui lui succéda en 1028, et Modjéhid, le prince des Baléares et de Dénia. Ce dernier, le plus grand pirate de son temps, se rendit fameux par les expéditions qu’il fit en Sardaigne et sur la côte de l’Italie, et aussi par la protection qu’il accorda aux hommes de lettres. D’autres Slaves régnèrent d’abord à Valence; mais dans l’année 1021, Abdalazîz, un petit-fils du célèbre Almanzor[2 - Son père était l’infortuné Abdérame-Sanchol.], y fut proclamé roi. A Saragosse une noble famille arabe, celle des Beni-Houd, obtint le pouvoir après la mort de Mondhir, arrivée en 1039.
Enfin, sans compter un assez grand nombre de petits Etats, il y avait encore le royaume de Tolède. Un certain Yaîch y régna jusqu’à l’année 1036; depuis lors les Beni-Dhî-'n-noun en prirent possession. C’était une ancienne famille berbère qui avait pris part à la conquête de l’Espagne au huitième siècle.
Quant à Cordoue, après que le califat y eut été aboli, les principaux habitants se réunirent et résolurent de confier le pouvoir exécutif à Ibn-Djahwar, dont la capacité était universellement reconnue. Il refusa d’abord d’accepter la dignité qu’on lui offrait, et quand il céda enfin aux instances de l’assemblée, il ne le fit qu’à condition qu’on lui donnerait pour collègues deux membres du sénat qui appartenaient à sa famille, à savoir Mohammed ibn-Abbâs et Abdalazîz ibn-Hasan. L’assemblée y consentit, mais en stipulant que ces deux personnes auraient seulement voix consultative.
Le premier consul gouverna la république d’une manière équitable et sage. Grâce à lui, les Cordouans n’eurent plus à se plaindre de la brutalité des Berbers. Son premier soin avait été de les congédier; il avait seulement retenu les Beni-Iforen, sur l’obéissance desquels il pouvait compter, et il avait remplacé les autres par une garde nationale. En apparence, il laissa subsister les institutions républicaines. Quand on lui demandait une faveur: «Ce n’est pas à moi de l’accorder, répondait-il; cela regarde le sénat, et je ne suis que l’exécuteur de ses ordres.» Qu