Les mystГЁres du peuple, Tome IV
Ржен Жозеф РЎСЋ
EugГЁne Sue
Les mystГЁres du peuple, Tome IV Histoire d'une famille de prolГ©taires Г travers les Гўges
LA GARDE DU POIGNARD.
KARADEUK LE BAGAUDE ET RONAN LE VAGRE
PROLOGUE
LES KORRIGANS. -395-529
-La Bagaudie… qu'est-ce donc, grand-père?
–Laisse-moi d'abord achever ce que je disais à notre ami le porte-balle; cela, d'ailleurs, pourra t'instruire… Donc, mon aïeul Gildas m'a raconté qu'il savait de son père que, peu d'années après la mort de Victoria la Grande, il y avait eu, non pas en Bretagne, mais dans les autres provinces, une première Bagaudi. La Gaule, irritée de se voir de nouveau province romaine, par suite de la trahison de Tétrik, et des impôts écrasants qu'elle payait au fisc, se souleva; les révoltés s'appelèrent des Bagaudes… Ils effrayèrent tellement l'empereur Dioclétien, qu'il envoya une armée pour les combattre; mais en même temps il fit remise des impôts, et accorda presque tout ce que demandaient les Bagaudes… Il ne s'agit, voyez-vous, que de savoir demander aux rois ou aux empereurs… Tendez le dos, ils chargent votre bât à vous briser les reins; montrez les dents, ils vous déchargent…
–Bien dit, vieux père… Demandez-leur les mains jointes, ils rient; demandez-leur les poings levés, ils accordent… autre preuve que la Bagaudie a du bon.
–Elle a tant de bon, que vers le milieu du dernier siècle, elle a recommencé contre les Romains; cette fois elle s'est propagée jusqu'ici, au fond de notre Armorique; mais nous n'avons eu qu'à parler, point à agir. Le moment était bien choisi; j'étais, si j'ai bonne mémoire, l'un de ceux qui, accompagnant nos druides vénérés, se sont rendus à Vannes auprès de la curie de cette ville, composée de magistrats et d'officiers romains, à qui nous avons dit ceci: «Vous nous gouvernez, nous, Gaulois bretons, au nom de votre empereur; vous nous faites payer des impôts fort lourds, à nous, Gaulois, toujours au nom et surtout au profit de ce même empereur. Depuis longtemps nous trouvons cela très-injuste et très-bête; nous jouissons, il est vrai, de nos libertés, de nos droits de citoyens; mais le vieux reste de notre sujétion à Rome nous pèse; nous croyons l'heure venue de nous en affranchir. Les autres provinces pensent ainsi, puisqu'elles se rebellent contre votre empereur… Donc, il nous plaît, à nous, Bretons, de redevenir complétement, indépendants de Rome comme avant la conquête de César, comme au temps de Victoria la Grande! Donc, curiales, exacteurs du fisc, allez-vous-en, pour Dieu, allez-vous-en; la Bretagne gardera son argent et se gouvernera elle-même; elle est assez grande fille pour cela… Allez-vous-en donc vite, il ne vous sera point fait de mal… Bon voyage, et ne revenez plus, ou si vous revenez, vous nous trouverez debout, en armes, prêts à vous recevoir à coups d'épées, et au besoin à coups de faux et de fourches…» Les Romains ne tenaient plus garnison en ce pays; leurs magistrats et leurs officiers, sans troupes pour les soutenir, sont partis, et point ne sont revenus: la Bagaudie en Gaule et les Franks sur le Rhin les occupaient assez. Cette seconde Bagaudie a eu, comme la première, de bons effets, encore meilleurs dans notre province que dans les autres, car les évêques, déjà ralliés aux Romains, sont parvenus à rebâter les autres peuples de la Gaule, moins lourdement pourtant que par le passé; quant à nous, de l'Armorique bretonne, Rome n'a pas essayé de nous remettre sous le joug. Dès lors, selon nos antiques coutumes, chaque tribu a choisi un chef, ces chefs ont nommé un chef des chefs qui gouvernait la Bretagne; conservé s'il marchait droit, déposé s'il marchait mal. Ainsi en est-il encore aujourd'hui, ainsi en sera-t-il toujours, je l'espère, malgré le règne de ces Franks maudits; car le dernier Breton aura vécu avant que notre Armorique soit conquise par ces barbares, ainsi que les autres provinces de la Gaule… Maintenant, dis